Les saisons du sang – L’AMAZONE

Illustration chapitre 9 de l'Amazone - Les saisons du sang - illustration de Chloé Rogez

Chapitre 9 – L’Amazone – Tome 1

La fureur d’une walkyrie (L’Amazone, Chapitre 9)

–  « On ne peut pas les attaquer comme ça, Anya ! Elles ont récupéré ces appelées bâtardes il y a peu. On ne sait même pas ce dont elles sont capables », se défendait la pythie désespérée.

–  « Tu crois que je ne le sais pas ? Tu crois que je ne me rends pas compte qu’il nous reste peu de chance ? Tu crois que je ne mesure pas les conséquences de votre incompétence ? » L’alpha hurlait à pleins poumons au visage de son interlocutrice, faisant fi de la présence de sa garde.

– « Vous n’avez pas été foutues de m’en attraper une, ni de les buter avant qu’elles ne rejoignent leur camp. Des lueurs s’éveillent, des lueurs qui auraient été grandement utiles à l’approche de ce combat … Nous allons perdre des recrues et nous ne serons pas capables de les remplacer. »

Elle tournait en rond, comme un fauve en cage. Ses tempes battaient au rythme de ses pas, tant la tension occupait son esprit et malmenait son corps. Elle cherchait une solution. Amorcer un combat, sans grande chance de gagner ou attendre le combat final sans agrandir ses rangs. Elle imaginait déjà le clan d’Alexis, pseudo pacifiste/humaniste de merde et donneuse de leçons, pavanant avec ses hybrides. Elle sentait le déclin de ses forces. Même si elle avait la conviction que sa voltigeuse ne lui serait pas enlevée maintenant, elle sentait que sa pythie défaillait. Ses prévisions devenant de plus en plus floues, elle naviguerait bientôt à l’aveugle. Il lui fallait profiter des derniers dons de cette bonne à rien pour lancer cette attaque. Ô bien sûr, elle avait envisagé de supprimer sa pythie pour en faire éclore une nouvelle, mais la perturbation de cet ordre avait ses limites même pour une alpha : comment aurait-elle retrouvé cette appelée pythie sans que l’ancienne ne la guide ? Elle aurait pu suivre le mouvement des clans en espérant trouver cette nouvelle recrue mais cela restait trop risqué.

Il lui fallait profiter de l’impuissance des nouvelles appelées d’Alexis et de l’effet de surprise d’une attaque pour détruire ce clan. Si tout marchait comme elle le voulait, elle récupérerait les hybrides, les guerrières survivantes et les biens, ce qui rendrait son clan plus puissant. Elle aurait ensuite le temps de tuer son ancienne pythie pour aller chercher sa remplaçante à travers le monde, un peu comme on change de voiture pour un modèle plus récent sur un coup de tête.

Elle reprit d’une voix plus calme, de cette voix dénuée d’émotion qui avait le don de terroriser ses troupes.

– « Écoute-moi bien, raclure de diseuse de bonne aventure. Tu ne dormiras pas, tu ne mangeras pas et tu ne feras rien d’autres qui pourrait te procurer un quelconque bien-être tant que tu n’auras pas trouvé de failles chez eux. Scrute chaque esprit de ce clan et même si c’est impossible à faire, tu le feras. Je te laisse quatre semaines au plus et si après ça, tu n’as rien à me dire, je mènerai quand même ce combat… »

Le visage de l’alpha était désormais à quelques centimètres de celui de la pythie. Cette dernière tremblait. Elle ne se souvenait que trop biens des mauvais traitements reçus depuis son « recrutement ». Elle savait la tâche difficile, au vu de son état, mais le pire était de savoir ce qui l’attendait.

– « … Mais avant de lancer cette attaque, je te ferai sauter les yeux à la petite cuillère, je t’égorgerai et laverai mes mains dans ton sang. Et si je suis de bonne humeur, j’emmènerai ta tête aux yeux pochés sur les lieux du combat. Ainsi tu auras vu, à défaut de prédire. Compris ? »

Cette dernière phrase, prononcée sur un ton quasi angélique, contrastait avec le coup de pied envoyé par la suite dans les côtes de la pythie. Son temps était compté.

Le premier matin de ma nouvelle routine (L’Amazone, Chapitre 9)

– « Rise and shine, amazons ! Kenza ! Elise ! Debout ! Je vous attends sur le parking du conseil dans trente minutes. Mettez un survêtement chaud. »

Kayla claquait déjà la porte d’entrée. Foutue porte qu’on n’avait toujours pas fermée à clé ! J’avais beau lutter pour ouvrir les yeux, la cérémonie de la veille et les derniers évènements avaient raison de mon corps. A moins que … je tournai la tête. 5h30. Elle se foutait de nous ? Au même moment j’entendis la voix plaintive de Kenza, du bout du couloir, s’adressait dans ma langue natale.

– « Cinq heures et demie ! Mais elle est malade ? Il fait encore noir dehors. »

– « Je sais ! »
Je m’étirai pour tenter d’éveiller mes membres. Les chats étaient assommés par ce réveil brutal mais quémandaient déjà des croquettes. Je sortis de mon lit et naviguai fébrilement vers la cuisine pour les nourrir avant de repartir fissa dans la salle de bain pour me préparer. Je découvrais encore à travers mes yeux bouffis de sommeil ma nouvelle maison. Toutes les pièces étaient finement décorées et optimisées pour nous faciliter la vie. Elle me semblait à ce moment être un nouveau cocon douillet. Près de ma porte, il me restait mes cartons d’effets personnels à déballer. Ils étaient arrivés la veille pendant la cérémonie. Je pourrais finir d’aménager mon nouveau chez moi.

Je croisai Kenza dans le couloir. Encore en pyjama, elle avait la tête en pagaille. Me regardant à peine, elle marmonnait des « ce sont des folles » et des « cinq heures du matin » incompréhensibles. J’apprenais donc un détail sur ma nouvelle colloc’ : aussi douce qu’elle pouvait être, elle n’était vraiment pas du matin. J’en souriais d’avance. Il me restait un peu plus de quinze minutes. Je filai sous la douche. Une douche très chaude pour me réveiller en douceur. En me savonnant, ma main butta contre ma ceinture rutilante, ce qui me remémora les souvenirs de la veille. Pas si lointains que cela puisque la soirée s’était finie il y a un peu plus de quatre heures. Je comprenais mieux ma fatigue à présent. Grande soirée que celle d’hier ! Après la présentation générale de notre nouvelle condition, nous étions revenues à la grande salle de réception où les autres nous attendaient pour poursuivre la soirée. Des toasts avaient été portés en notre honneur. Nous avions eu l’occasion de sympathiser avec de nombreuses amazones du clan et déjà des liens amicaux s’étaient noués avec les autres appelées. Tara, l’une d’entre elles, avaient d’ailleurs promis de passer à la maison cette semaine. Elle semblait si enthousiaste en parlant de ses animaux de compagnie, je lui demandais si elle avait pu également en apporter quelques-uns avec elle. Elle semblait dépitée en m’annonçant qu’elle avait dû laisser ses chiens à une amie, ne sachant pas ce qui l’attendait. Elle estimait avoir fait le bon choix même si cela lui pesait depuis son arrivée.

Une fois ces premières rencontres terminées, Alexis avait procédé à la cérémonie de l’attribution des ceintures. Tout avait semblé si solennel, si important pour toutes. Il y a quelques semaines, nous ignorions encore tout de ces femmes et pourtant, cet accueil, ce respect et surtout cette reconnaissance au sein du clan nous chamboulaient. La peine d’avoir abandonné nos familles était encore là mais nous connaissions la joie de pouvoir s’en faire une autre, alors que notre futur était incertain.

Au moment où Alexis m’accrochait la ceinture de platine, je ressentis un étrange frisson. Il n’était pas dû à la froideur du métal ni au contact d’Alexia. Au fur et à mesure que les heures passaient en sa présence, je n’étais plus béate d’admiration. Ce sentiment était sûrement le contre coup de la première rencontre. Désormais, je pouvais soutenir son regard et lui parler, sans partir dans ces moments d’hébétude dont j’avais le secret. Mon esprit restait connecté au sien et cherchait toujours sa présence pour s’assurer de son bien- être, mais mes yeux et mon cœur la regardaient avec toute la loyauté que son rang et sa personne réclamaient.

Mon corps n’avait donc pas frissonné pour ces premières raisons, pourtant évidentes. J’avais connu cet émoi en raison de la beauté de la ceinture. Son symbole s’était imposé à moi, comme un coup de massue. Elle était moi. Elle retraçait ma vie. Elle était unique. Comme j’avais pu l’être sans m’en rendre compte jusqu’ici. Je n’étais pas une reine de beauté sans pour autant être désagréable à regarder. Je n’attirais pas le regard de la gent masculine comme le font ces gravures de mode, ou ces filles élancées pleins de style dans les rues de Paris. Je n’étais pas non plus une de ces party girls ou cheerleaders peu farouches. J’étais trop occupée à travailler d’arrache-pied pour me construire une carrière. J’avais de bonnes notes à l’école sans être un génie. Je n’étais pas une fille populaire, une sportive accomplie ou même une gosse de riches. Je m’en étais contentée toute ma vie sans m’en apercevoir et ce n’était pas plus mal d’ailleurs. Ma vie n’en était pas moins belle pour cela. Mais en recevant cette ceinture, un besoin de reconnaissance que je ne soupçonnais pas s’était assouvi. Étais-je si vaniteuse ? Je me déçus sur le moment, mais en regardant cette ceinture, j’oubliai ce sentiment. Elle était si belle. Des maillons entouraient ma taille et maintenaient sur le devant une place fine de platine. On pouvait y lire mon nom, ainsi que mon rang dans le clan. Au centre, se pavanait dans toute sa splendeur le blason de ma nouvelle famille. Un liseré d’or fin se baladait sur le contour de cette plaque, comme pour mettre en avant la beauté du métal. Deux pierres précieuses étaient incrustées sur les côtés de la plaque. Des émeraudes pour les voltigeuses, des rubis pour les porteuses ou également appelées piliers. Même si j’avais eu l’autorisation de l’enlever pour dormir, je n’aurais jamais ôté cette ceinture. Mon corps mettrait peut-être un peu plus de temps à s’y habituer que pour les bagues, colliers et bracelets qui complétaient cette parure, mais ce n’était pas un souci en soi. Cette ceinture était à mes yeux le plus beau bijou de tous. Le reste de la cérémonie était assez flou dans mon esprit, mais cela m’importait peu. Sans l’altercation avec Ankara, cette soirée aurait été parfaite et c’est ce dont je voulais me souvenir. Les filles m’avaient garanti que nous aurions d’autres cérémonies pour accueillir de nouvelles appelées et parler de notre histoire.

Je sortais de ma douche pour me brosser les dents, puis les cheveux. Je sautais dans le premier survêtement qui me tombait sous les mains, et prenais une écharpe et des gants. J’étais encore surprise d’avoir autant de vêtements pour moi et surtout en tailles différentes. Il me restait encore cinq minutes pour prendre un rapide déjeuner et re-brosser mes dents.

Avec Kenza, nous avions eu à peine le temps d’échanger deux mots. Nous ne voulions pas arriver en retard pour notre premier entrainement. Nous débarrassions notre table avant de partir sur le pas de course. J’étais impressionnée par le froid du matin et plus encore par les blessures que je ne sentais plus.

Kayla, Sarah et Belen nous attendaient sur le parking, fraîches et dispo. Elles portaient de simples survêtements avec des gants et écharpes. Les températures devaient avoisiner les moins dix degrés à en croire nos claquements de dents. Impatiente, Kayla nous faisait signe d’accélérer la cadence. Nous nous mîmes facilement au trot. Les trottoirs étaient déneigés et les allées étaient bien éclairées. Tout était calme dans les maisons clônes, ce qui paraissait à cette heure être une injustice pour nous. Que n’aurais-je pas donné pour rester au chaud sous ma couette. Mais tout cela avait un but : apprendre à survivre. A me défendre en cas d’attaque. A devenir plus forte. J’avais délaissé ma famille, mes proches et tout ce qui faisait mon ancienne vie pour les protéger. Je ne partais pas vaincue pour autant. Si danger il y avait, je comptais bien sauver ma peau. Et ces filles qui s’étaient également levées aux aurores pour nous, allaient m’aider. A l’autre bout du croisement, j’apercevais Gwen, une des voltigeuses, flanquée des autres appelées. Dans ses bras, reposait un énorme carton qui paraissait bien lourd pour sa personne. Si le poids de ce dernier l’incommodait, elle n’en laissait rien paraître. Nous arrivions toutes en même temps en parking.

– « Bonjour à toutes. Bien dormi ? », lança Belen.
– « Peu », lui répondit Tara dans un sourire peu convaincant.
– « Je me doute. Les entraînements de cette semaine vont vous fatiguer. Vous épuiser même. Mais c’est une façon d’éveiller vos muscles et votre force encore en sommeil. Par la suite, vous enchaînerez les cours le matin et les entraînements l’après-midi. Les éventuels cours de conduite ou autre extra auront lieu le soir. »

– « Tout un programme », ironisai-je en regardant Kayla.
– « Oh oui, et tu n’as pas tout vu ! On commence dès maintenant avec un footing de deux heures », me répondit cette dernière.
Je la regardais, muette comme une carpe. Elle devait blaguer. Impossible autrement. Je ne pouvais pas courir aussi longtemps. Je ne pouvais pas courir tout court d’ailleurs. A chaque fois que j’avais tenté d’accélérer la cadence, mes genoux se touchaient pour me faire chuter. Ou alors mes poumons entamaient une combustion spontanée. Elles pouvaient demander à mes anciens profs de sport. J’étais un cas désespéré. L’un d’entre eux m’avait même dispensée de cours de sport pour l’année entière tellement j’étais mauvaise.

L’entraînement des appelées (L’Amazone, Chapitre 9)

En regardant les visages autour de moi, je sus que je ne devais pas être la seule effrayée par cette épreuve. Mais déjà Gwen, fouillant dans son carton, prenait la suite des instructions.

– « Avant de commencer, j’ai des poids à vous distribuer. Certains sont à attacher aux chevilles, d’autres à vos poignets. Vous ne les enlèverez que pour vous doucher. On doit solliciter votre force latente au plus vite. Comme nous ne savons pas encore ce qui se trame, nous ne pouvons pas nous permettre de perdre du temps. »

L’évocation de ces funestes prévisions nous coupa l’envie de protester quant à ce nouvel handicap de poids. Nous enfilions nos nouveaux bracelets moins gracieux que ceux de la veille. Pour nous rassurer ou détendre l’atmosphère, Sarah concluait.

– « Les deux premiers jours, nous pourrons faire deux ou trois pauses sur le chemin. » Des nuages de condensation sortaient de sa bouche alors qu’elle s’exprimait. Je regardai Kenza et Tara avant de leur lancer une remarque ironique sur la nécessité de faire des pauses tous les trois cents mètres. Je ne sais si j’avais parlé trop fort ou si les rires de mes deux comparses m’avaient trahie, mais je sentis de plein fouet le revers d’une main s’abattre sur le sommet de ma tête.

– « Elise, à toi l’honneur d’ouvrir le peloton », morigéna Kayla.
Pff. Il faudra que je m’y fasse … bienvenue aux années « lycée ». Mais c’était pour mon bien. Ma survie. Enfin c’est ce dont j’essayais de me convaincre.

– « Bonjour les filles ! Je vous attendais. Sarah et Gwen, vous pouvez rentrer maintenant. Je prends le relais pour l’initiation aux armes », annonça fièrement Megan.

Quoi ? J’étais à deux doigts de vomir mes tripes et on enchaînait déjà ? Je n’avais pas cru la chose possible mais mon t-shirt et ma veste de survêtement étaient trempés de sueur, alors que le froid mordant avait formé des stalactites sur le toit des maisons de la cité. Le soleil se levait à peine. Je ne souhaitais qu’une chose : me doucher. J’avais toujours eu horreur de me sentir sale. J’abhorrai tout à coup ce survêtement empestant le corps moite, ainsi que ce pantalon qui s’était troué lors d’une de mes chutes sur les plaques de glace invisibles.

–  « Encore ? Mais tu es la seule à te ramasser. C’est dingue », s’indignait Kayla en me ramassant, presque inquiète des conséquences de mes chutes de cascadeuse.

–  « Si tu crois que je le fais pour tester la résistance du bitume… », ironisai-je en grognant à bout de souffle.
Je faisais tout pour ravaler mes larmes de douleur. Je maudissais ce pantalon qui s’était troué au genou et qui s’imbibait déjà du sang de ma blessure. – « Tu guériras vite », me rassurait-elle en suivant la direction de mon regard.
– « Je sais. J’ai vu mes plaies précédentes … ou du moins, je ne les vois plus. Même pas une cicatrice pour le coup. » Mon souffle court coupait ma réplique.

– « Tu t’éveilles, petite Elise. Ton corps accélère la cadence pour les fonctions vitales. Tu seras plus forte, plus rapide et tu reprendras très vite des forces. »

A ces mots, j’avais repris la course en essayant de m’imaginer un futur où je serai aussi douée. Mais mes bras et mes jambes étaient si lourds que je revins vite à la réalité. Les exercices cardio faits après la course nous avaient exténuées. C’est donc avec cette impression de membres mutilés voire fantômes que j’appris mon emploi du temps de la journée. Dépitée et découragée. Je pense que c’est l’impression que je devais dégager à ce moment. Enfin, si les larmes et la fatigue laissaient encore apparaître des expressions faciales.

A l’annonce de Megan, Mei Wen s’était laissé tomber à genoux. Ainsi, je n’étais pas la seule. Même une appelée porteuse craquait dès le premier entraînement. Callie arriva du fond du gymnase où nous attendions, les bras chargés d’armes en bois.

– « Si vos voyez les têtes que vous faites, mes chéries ! »
Megan s’adressait à Belen, Kayla et les autres pour échanger quelques directives avant qu’elles ne rejoignent les cours.

– « Elles ne vont pas dormir ? », demanda Kenza, intriguée.
– « Bien sûr que non », s’indigna Kayla qui avait saisi la question au vol. « Une bonne douche et nous partons ensuite pour l’emploi du temps habituel. Quand nous avons notre révélation, nos corps ont besoin de moins de temps de repos pour être de nouveau d’attaque. »

– « Touchée ! »
Je jetai mon arme de rage et de désespoir sur le tapis. Mes bras pesaient une tonne. Même en me concentrant sur les premières passes d’armes défensives qu’on venait de m’apprendre, je n’avais pas la force de les reproduire et de repousser les assauts de Megan.

– « Voici ce qu’il ne faut pas faire », enchaîna Callie en décryptant à toutes la scène. « Elise a enchaîné sur un revers avec son glaive, ce qui a laissé dans un second temps un espace ouvert sur son flanc. Une adversaire rapide aurait pu en profiter pour la tuer. »

Tuer, toucher, éliminer. Nous avions tant entendu ces termes dans la journée que l’idée de notre propre mort en était presque devenue familière. Cela faisait plus de deux heures que Callie et Megan alternaient les séances de théorie et de pratique. Nos faiblesses de jeunes appelées, aux bords de nos limites, me sautaient aux yeux. Si nous ne nous améliorions pas rapidement, nous nous ferions massacrer en deux temps trois mouvements par nos ennemies plus aguerries. Mais la conviction avait beau être là, nos muscles ne répondaient plus. J’en venais à douter de notre éveil. Kenza devait partager cet avis car elle intervint.

–  « On comprend, Callie. Mais là, on n’y arrive plus. Nos membres nous font trop souffrir. On observe vos gestes, on sait comment les reproduire mais nos bras pèsent une tonne. Du moins, c’est l’impression qu’on a. »

–  « Je sais ce que vous ressentez », se défendit Megan. « Nous sommes toutes passées par là. Mais nous n’avions pas le choix. Un danger arrive, on ne sait pas quoi, ni quand. Et notre mission est de vous former pour vous protéger, vous donner les moyens de vous défendre. Devant une walkyrie ennemie, vous ne pourrez pas lui dire « oh, attends deux minutes. On fait une pause ? Parce que je n’ai pas l’habitude de me battre aussi longtemps avec un scramasaxe ». Elles vont aller à l’essentiel : votre mort ! Elles se moqueront de savoir que vous êtes exténuées. D’où la nécessité de vous entraîner avec des handicaps et de repousser vos limites. »

–  « On comprend l’idée de base », reprit Tara, convaincue. « Mais nous ne sommes plus efficaces à ce stade de la matinée. Pourrait-on enchaîner sur une autre série d’exercices qui ne sollicitent plus autant nos muscles ? »

–  « Bien », concéda Megan à contrecœur. « Nous allons enchaîner sur des exercices de rapidité. Profitez-en pour vous reposer un peu les bras et les jambes, car pour rattraper le temps perdu, on finira sur des combats en milieu tropical voire aquatique. Et cela va solliciter l’endurance de votre corps. » Même si ce n’était pas ce à quoi nous nous attendions, nous étions reconnaissantes. Du moins, dans un premier temps. Les exercices de rapidité se révélèrent tout aussi fatigants. Même si nos muscles n’étaient plus amenés à travailler autant, notre cerveau et surtout nos instincts étaient en ébullition pour prévoir les attaques à mains nues. Kenza semblait très bien gérer cette partie de l’entraînement, ce qui lui rendit le sourire. C’était même devenu un jeu entre nous : toucher l’adversaire du bout des doigts tout en se protégeant des attaques de cette dernière. Arriva l’heure de l’entrainement en milieu tropical, aquatique, humide… je ne savais plus très bien les mots utilisés. Je rechignais d’avance à cet exercice car je craignais que mon survêtement moite et répugnant de saleté ne me colle encore plus à la peau. En quittant le gymnase pour nous y rendre, nous étions loin d’imaginer que l’on nous mènerait tout droit à une serre reproduisant le climat et la flore tropicale. Un long court d’eau avec ses criques et marais avoisinant traversait cette serre. L’humidité ambiante de cette serre protégeait ces arbres et plantes tropicales qui proliféraient et rendaient ce décor presque hostile.

– « Toutes à l’eau », lança Megan.
Nos mines peu réjouies ne nous empêchèrent pas d’exécuter cet ordre. Nous commencions à nous déshabiller.

–  « Non, non. Qu’est-ce que vous faites ? », s’insurgea Callie. « Vous gardez vos fringues, vos poids et vous descendez dans l’eau pour combattre. »

–  « Mais l’eau est sale et… », lança l’une des autres appelées.

–  « Et alors, ma princesse ? », ironisa Callie. « Cette serre d’entraînement à l’état sauvage sera sûrement plus propre que les endroits dans lesquels vous aurez à vous battre. »

–  « On n’est pas censé se battre dans le froid ? Les eaux sales et boueuses, on a peu de chance de les rencontrer dans le Grand Nord Canadien », essaya de raisonner Mei- Wen.

–  « Mais quand tu partiras en mission, tu n’auras pas le choix du terrain de combat. Ça pourrait tout aussi bien être les égouts d’une grande ville qu’une forêt équatoriale dans une nuit noire. Très peu de combats ont lieu sur nos territoires. Et encore moins dans les grandes villes en plein jour. » Dégoûtées mais résolues, nous rentrâmes dans les eaux troubles et marécageuses, où la flore aquatique nous tendait elle-même des pièges avec ses racines. Comment allions-nous nous mouvoir et progresser dans cette eau si épaisse ? En omettant le fait que nos pieds se prenaient dans la mélasse de ce marécage artificiel, il était assez facile de supporter le poids à nos chevilles tant que nous ne tentions pas de lever la jambe. Mais lors des premiers mouvements de défense ou d’attaque, ces poids semblaient peser une tonne et entraîner nos membres vers le fond. Megan n’avait pas tort lorsqu’elle parlait d’endurance. Je préférai en rire, épuisée.

– « Le concept de douche naturelle de cet hôtel est vraiment minable. Je ne reviendrai pas… »

Kenza ricana. La blague n’était pas bonne. Elle était juste au bout du rouleau.
– « Mais ce n’est pas vrai ?! Elle a toujours quelque chose à dire, celle-là ! » Sur ce, Megan me jeta le premier glaive en bois qui lui tomba sous la main. J’esquivai ce dernier non sans difficultés.
Le reste de l’entraînement se passa sans heurts.

La cantine … ou le bal des ogresses (L’Amazone, Chapitre 9)

Le moment du repas arriva enfin. Nous fûmes autorisés à sortir des marécages pour aller prendre une douche et changer de vêtements. En rentrant chez nous, nous jetâmes directement nos fringues dans la machine à laver. Vu l’état de mon pantalon, je ne sais pas ce que j’espérais de cette démarche. Même si la lessive faisait des miracles sur les tâches, elle ne récupérerait pas les trous faits lors de mes chutes. Nos fringues empestaient et embaumaient déjà la pièce. Kenza et moi nous jetâmes dans nos salles de bain respectives pour enlever cette odeur affreuse et désinfecter nos premières blessures. Nous nous dépêchions de nous apprêter pour rejoindre les autres à la cantine. Nous étions mortes de faim. Sur le chemin, je réfléchissais en silence sur mon armoire et son contenu. Tout compte fait, cette multitude d’affaires de sport allait avoir son utilité. Kenza me sourit de connivence.

– « Quoi ? »

– « Oh rien. C’est calme d’être avec toi. Je suis contente de t’avoir comme colloc’. » Touchée par cette remarque inattendue, je lui retournais le compliment. Nous nous connaissions depuis peu mais il est vrai que tout était facile avec elle. Nous étions sur la même longueur d’ondes, le même rythme. Comme si nous nous connaissions depuis des années.

Arrivées à la cantine, nous repérâmes très vite notre petit groupe, très vite rejoint par des amazones plus âgées qui venaient lier connaissance avec nous. Les tablées étaient immenses. Un self-service, ravitaillé par une armée de cuistots, était à disposition. Bœuf, volaille, fruits, légumes, gratins, laitages, desserts un peu plus travaillés… tout y était. Nous pouvions nous resservir à volonté. Nous rîmes de Mei-Wen, qui destinée à être porteuse, ne pouvait pourtant plus lever sa fourchette pour manger à l’issue de ce premier entraînement. Il n’était pas rare que l’une d’entre nous aille se resservir et revienne avec une portion plus grande ou d’autres plats pour les autres. Cela ressemblait à un grand piquenique. Même Alexis me ramena des pommes lorsqu’elle nous rejoint un instant pour prendre de nos nouvelles.

– « J’ai vu que tu les regardais depuis un moment », me dit-elle en me les tendant.
– « Merci. J’hésitai à aller les chercher. Je ne suis pas sûre que mes jambes auraient pu faire un nouvel aller-retour avec l’entrainement de ce matin. »
L’humeur générale était décontractée. J’eus l’occasion de rencontrer de nouvelles walkyries de mon clan, toutes très gentilles et serviables. J’évitais tant que possible de prononcer les mots walkyrie ou amazone devant ces guerrières. Je n’avais toujours pas fait mon choix sur le mot qui les décrivait le mieux et je ne savais pas si l’une de ces appellations les fâcherait. Au bout d’une heure, Kayla nous rappela à la réalité.

– « Bon, les filles, on repart pour un entraînement d’éveil. Nouveau footing dans un quart d’heure. »

Comment allais-je pouvoir courir sans avoir digéré le repas de ce midi ? Je me retournai pour commencer à débarrasser mon plateau quand je me rendis compte de l’amoncellement d’assiettes et autres déchets que nous avions laissés. Kenza me regarda mi incrédule, mi dégoûtée. Comme si elle pensait à la même chose que moi.

– « C’est nous, ça ? », lançai-je, plus pour moi que pour les autres.
– « Oh oui ! Et je peux même te dire que tu y as bien contribué », se moqua Kayla. « Deux assiettes de bœuf/purée/haricots verts, quatre cuisses de poulet, du gratin de pommes de terre et de choux, une salade de carottes/maïs/tomates, deux yaourts et deux pommes. »

– « Mais c’est pas possible… » Je n’en revenais pas de cette liste.

– « Oui. Ce sont vos corps qui s’éveillent. Nous vous avions prévenues. Vous brûlez plus d’énergie pour muter. Vous en consommez donc plus. Ce sera désormais votre rythme alimentaire de base. Nous sommes toutes des ogresses à table », dit-elle dans un sourire de fierté, « mais rassurez-vous : nous transformons tout cela en muscles. Vos instincts s’éveillent, néanmoins cela reste pour le moment moins visible. Pour revenir à ton cas, Elise, ton appétit m’a impressionnée. Tu vas bientôt pouvoir me défier à la cantine : à moins que tu ne finisses comme dans la fable de la grenouille qui voulait devenir aussi grosse que le bœuf », finit-elle dans un sourire taquin.

Comprenant l’allusion, j’entrai dans son jeu.
– « C’est un défi que tu me lances ? Ou te prends-tu vraiment pour un bœuf ? »

– « Bien sûr que je suis prête à te défier, la voltigeuse. Mais encore faut-il que tu survives à l’entraînement de cet après-midi. »

Me rapprochant d’elle, le torse bombé par défi, les sourcils faussement froncés, j’attirai l’attention de mes acolytes de tablée qui se divertissaient de cette joute verbale amicale.

– « Tu ne verras que ma poussière, porteuse. »
– « Celle que tu fais en te ramassant tous les deux cents mètres ? », répliqua-t-elle calmement en accompagnant sa vanne d’une bourrade franche.
Je ne pus m’empêcher de sourire. Elle m’avait mouchée. Elle m’entraîna dehors avec les autres, dans le froid, pour se préparer à courir.
L’après-midi fut aussi pénible que la matinée. A chaque fois que nous pensions avoir atteint nos limites, elles nous inventaient à tour de rôle un nouvel exercice ou plutôt une nouvelle torture. Travail d’endurance, de réflexe, maniement des armes, techniques de combat à mains nues … Nous rentrions toutes épuisées de cette journée. Alexis nous avait fait porter des paniers repas dans nos maisons respectives, se doutant que nous n’aurions pas la force de cuisiner. Sans un mot, je mangeais avec Kenza dans notre cuisine, après m’être douchée. Et ce fut cela toute la semaine. A peine avais-je trouvé le temps de téléphoner à Gab et Patrick pour leur donner de mes nouvelles, de laisser des messages sur le répondeur de Damien (qui refusait encore tout contact) et faire mes lessives. Les chats ne m’en voulaient pas de ce calme. Ils avaient déjà pris leurs marques, s’amusaient entre eux et passaient le reste du temps à se blottir contre nous la nuit, à la recherche d’affection. Bizarrement, ce silence et cette fatigue commune me rapprochaient de mes sœurs de galère et particulièrement de Kenza. Au bout d’une semaine de vie commune et d’entraide lors des entrainements, notre binôme communiquait en un regard. Nous pouvions même nous faire des conversations muettes à force de regards et mimiques faciales, ce qui faisait rire Kayla, Alexis et les autres.

L’évolution (L’Amazone, Chapitre 9)

Intérieurement, je ne me sentais pas différente, comme je l’espérais. J’avais toujours une appréhension face aux obstacles. La seule chose qui me consola sur « mon appel » était l’évolution de mon corps et de ses capacités. Dès le troisième jour d’entraînement, je ne souffrais plus de courbatures. Je supportais des poids de plus en plus lourds à mes chevilles et mes poignets. Je me réveillais d’office à cinq heures du matin sans alarme de réveil. Mon corps réclamait de l’exercice. Il bouillait littéralement d’impatience de se dépenser. Mon sang réclamait les entraînements au combat, ce qui me mit mal à l’aise lorsque je m’en rendis compte la première fois. Cette idée me dérangeait au plus haut point, comme un dégoût de ce que je devenais. Je voulais taper. Toujours plus vite, toujours plus fort. Même si je reconnaissais Kayla, Megan et Belen en face de moi et que je voulais avant tout les protéger, mon corps n’écoutait pas encore mon esprit et souhaitait la confrontation. Au bout du septième jour, je constatais avec étonnement un corps plus affiné, plus sec, plus musclé. Alors que mes consœurs avaient considérablement pris en masse musculaire, Kenza et moi gardions presque les mêmes proportions. Nous continuions de porter la même taille de survêtements. Notre stock aurait pu fondre comme neige au soleil dans notre armoire tant les chutes et altercations fictives étaient brutales, mais Alexis continuait de nous en offrir à toutes. Toujours plus beaux et résistants.

Sur nos bras, se dessinait chaque muscle, chaque parcelle de notre force, témoin de notre nature de voltigeuse. Loin d’être gonflés comme des ballons de baudruches, ils étaient finement taillés et fuselés pour rappeler davantage la vitesse que la force brutale. Il en était de même pour notre dos, nos abdos et nos jambes. Moi qui craignais ne plus pouvoir porter de jupe, je me réjouissais aujourd’hui de ces jambes dessinées sur lesquelles j’aurais pu casser de la pierre. Ma peau, quant à elle, était redevenue nette et lisse. Elle avait comme effacé le souvenir de cette fusillade. Kayla et les autres ne m’avaient pas menti.

Nous avions pourtant reçu le même entraînement que les autres mais la différence de carrure qui s’était profilé en moins d’une semaine était telle que cela en était effrayant et prodigieux à la fois. Je mangeais toujours autant à la cantine et je ne prenais pourtant pas un gramme. Mei-Wen, Tara et Maria avaient pris trois tailles de plus en vêtement, sans compter les centimètres qu’elles prenaient à vue d’œil en termes de gabarit. Je n’avais jamais été une érudite des sciences mais je savais que ce genre de croissance était un phénomène quasi impossible dans la vraie vie. Kayla était le témoin, pas peu fière, de cette évolution. Elle ne cessait de nous prendre en photos. Que ce fut aux entrainements ou le soir à la maison, elle nous mitraillait avec son appareil ou son portable. Sans savoir pourquoi, j’avais l’impression d’être plus souvent visée que les autres. Mais après tout, c’est avec Kenza et moi qu’elle passait le plus clair de son temps. Avec Megan et Belen, il ne se passait pas une soirée sans que nous soyons les unes chez les autres pour regarder un film ou discuter. Bon, il est vrai que les premiers soirs, elles venaient à la maison. Kenza et moi n’avions plus la force de faire dix mètres qui nous séparaient de leur maison. Parfois, Alexis, Tara, Gwen et Elena se joignaient à nous. Les soirées ne finissaient jamais très tard, sauf quand Tara s’attardait auprès des chats pour leur plus grand bonheur.

La semaine suivante, nous rejoignions les autres walkyries du clan dans leurs activités : cours le matin et entraînements l’après-midi. Un peu comme à l’école, pensai-je ironiquement. Sauf que les cours dispensés ici se différenciaient des simples connaissances en maths, anglais ou même histoire que l’on avait toutes connues auparavant. Géopolitique, cours de langues étrangères, manipulation des explosifs, cours de pilotage voiture et moto… nous devions ingurgiter une masse d’information aussi importante que diverse, toujours plus poussée. Nous suivions les cours dans les grands bâtiments à l’autre bout de la cité, bâtiments quasi flambant neufs. Aussi impressionnants par leur taille que la technologie qu’ils abritaient. Je n’avais jamais été une élève assidue lors de mon enfance, mais la nature même des cours que je suivais m’intéressait au plus haut point. Très vite, j’avais mes binômes de prédilection pour assister aux divers cours : Kenza, Tara, Maria ou même Kayla. Tout dépendait des cours auxquels j’assistais car nous ne suivions pas toutes les mêmes. Nous alternions ces derniers afin de choisir notre spécialité dans trois mois. Celle de Kayla était les explosifs. Belen et Callie étaient davantage tournées vers la résolution de conflits géopolitiques. Quant à Megan … elle restait toujours dans l’univers des véhicules : c’était elle notre instructrice de pilotage. Voiture, moto, hélicoptère, rien n’avait de secret pour elle. A ma grande surprise, j’appris qu’elle était mariée et avait même deux enfants. Je n’aurais jamais cru cela d’elle au premier abord. Elle était la plus intrépide en mission et dévouée à notre cause… Mais en la découvrant aux côtés de son époux, je découvris une tout autre personne : tout aussi dévouée, mais à sa fille, son fils et Jim, son mari. Elle l’avait connu en « mission ». Ce dernier était cuisinier. Elle opérait sous couverture pendant plusieurs semaines dans l’hôtel dans lequel il travaillait. Lui-même de grande taille, il ne fut pas impressionné par la carrure de Megan. Il lui fit discrètement des avances via des plateaux repas déposés la nuit devant sa chambre. Cette écorchée vive qui avait reçu si peu d’égard jusque-là fut conquise malgré elle. Elle lui avait alors dit qu’elle était garde du corps pour ne pas lui révéler son secret et prit sur elle lorsqu’elle dut lui faire comprendre que rien ne serait possible pour elle. Elle passait son temps à pleurer devant les gâteaux savoureux qu’elle continuait de trouver devant sa porte. Devant son air affligé, Margrit, ancienne walkyrie alors en mission avec elle, prit le soin d’en toucher un mot à Alexis. Cette dernière décida d’autoriser Megan à emmener Jim, si et seulement si, il acceptait la condition de Megan et qu’il voulait bien la suivre. Depuis, comme aimait le répéter Alexis, Jim était le roc de Megan … et aussi notre chef cuistot à la cantine. Après tout, il avait un job qu’il aimait auparavant et nous avions toujours besoin d’aide pour faire tourner le camp. Même s’il était heureux de contribuer à sa façon au fonctionnement du clan et d’avoir sa femme à ses côtés, on pouvait sentir une frustration lorsqu’il devait la laisser partir en mission ou se battre pour défendre le clan. Mais cela était le lot quotidien des hommes et autres membres de la famille vivant parmi nous. Grâce à eux, ce clan ressemblait à une petite ville : ils savaient donner le change quand des intrus ou des « invités » venaient rendre visite à l’une d’entre nous (une ville sans homme aurait été étrange). Ils exerçaient des métiers nécessaires pour l’organisation du camp : garagistes, boulangers, informaticiens pour nos services de sécurité, comptables, professeurs pour les enfants. Ils faisaient vivre ce clan mais en contrepartie, ils devaient accepter de ne jouer qu’un rôle secondaire dans cette guerre ancestrale et de perdre peut-être un jour l’amour de leur vie au nom de cette dernière. Certains veufs continuaient de vivre avec nous malgré la perte de l’être cher. Rien que pour ce dévouement pour lequel ils risquaient leur vie et leur bonheur chaque jour, j’avais un profond respect pour eux. Je ne devais pas être la seule d’après la façon dont en parlaient Alexis, Kayla, Belen et les autres.

Le test (L’Amazone, Chapitre 9)

J’en étais là de mes réflexions quand je revins à la réalité. Je devais rester après l’entraînement au glaive pour travailler avec Gwen. Même encore maintenant, cela me paraissait irréel d’aligner ces mots. Nous avions peu vu Elena depuis la cérémonie car elle recherchait dans les écrits l’origine de nos lueurs, du moins c’est que j’apprendrai plus tard. Kenza et moi restions une énigme pour notre race… ou des mutantes. Des tares. Impossible d’y mettre un nom. Nous étions sous observation depuis notre arrivée. Pour le moment, nous nous développions comme le faisaient habituellement les voltigeuses, peut-être un peu plus vite. Même si Alexis redoutait nos débordements d’émotions, connus pour la plupart des amazones, elle dut se rendre à l’évidence, que depuis l’altercation avec Ankara lors de la cérémonie, on ne pouvait rien nous reprocher. Ankara se tenait loin de moi. Je réussissais à contrôler toutes mes sautes d’humeur et lorsque les jeunes recrues étaient ensemble, aucune crise n’était à noter, ce qui lui paraissait un peu bizarre. L’atmosphère n’était pas paisible, mais restait totalement sous contrôle, même pendant les combats fictifs. La tension se relâcha petit à petit chez Alexis et les autres mais il était convenu que les anciennes voltigeuses se chargeraient des nouvelles, pour pouvoir les étudier par rapport à leur propre vécu et les suivre au cas où la situation dégénèrerait. A comprendre ici : une rébellion. Nous les comprenions mais nous étions pourtant tellement loin de ce sentiment. Nous étions pour elles des composantes inconnues et donc potentiellement instables de notre race. Elles se devaient de nous avoir à l’œil.

Elena était partie avec Kenza pour une séance de méditation, quand je vis apparaître Gwen, assez préoccupée. Elle s’excusait de son retard et surtout de son manque de suivi depuis mon arrivée.

–  « Ce n’est pas grave. Kayla s’est chargée de me tenir occupée », avouai-je dans un sourire.

–  « Oui, je me doute. Alors, quel est ton ressenti depuis que tu nous as rejointe ? Kenza et toi avez l’air de bien vous intégrer d’après ce qu’on m’a dit ? »

–  « Oui, tout se passe pour le mieux. Nous n’avons pas l’impression d’évoluer énormément, par rapport aux autres appelées qui ont toutes pris en masse musculaire, mais tout le monde se montre gentil et patient avec nous. »

– « Ne t’inquiète pas de cela. Vous n’êtes pas encore conscientes des changements qui se sont opérés mais vous avez très vite évolué, contrairement à ce que vous pouvez penser. »

Je ne voyais pas où elle venait en venir, mais à cette heure de la journée, je m’en foutais un peu. Je ne rêvais que de deux choses : un bon bain chaud et manger. Je pensais sans cesse à la nourriture. Je ne connaissais plus la sensation de satiété. Comme si mon estomac était un trou noir.

– « Si ça te dit, on va essayer de rattraper le temps perdu en faisant vraiment connaissance tout en s’entraînant. On va effectuer un exercice simple de rapidité. Tu essaies de me toucher du bout des doigts et je cherche à t’éviter ou parer les coups. »

J’acquiesçai à l’énoncé de cette nouvelle consigne. Nous commencions les premiers échanges tout en pensant à bien respirer. Je m’attendais à un entraînement plus poussé de la part d’une voltigeuse, mais bon … je n’allais pas me plaindre. La journée avait été assez longue comme cela. J’éprouvais juste un peu de déception.

– « Ça n’a pas été trop dur de quitter ta famille ? Tu arrives à combler le vide ? »
– « Bien sûr que c’était difficile mais c’est pour le bien de tous. Je n’aurais pas su les protéger. Pour combler le vide, je les appelle régulièrement. Et nous nous soutenons beaucoup moralement, Kenza et moi. »
– « C’est bien… Tu sais, il ne faut pas se sentir coupable de les avoir mis de côté pour les préserver. C’est le plus beau cadeau que tu pouvais leur faire… Et tu vois encore ta mère ? », lança-t-elle d’un air faussement innocent.
J’essayais de la toucher en crochet sur le flanc droit, mais elle esquiva avec légèreté.

– « Tu connais déjà la réponse », lui répliquai-je, non dupe. « Tu m’étudies d’arrache- pied depuis plus d’une semaine. Je suppose que ce détail ne t’a pas échappé. » J’avais fait mouche. Elle fut gênée d’être aussi facilement démasquée. Mais elle se reprit très vite.
– « Oui, je sais. Mais je me demandais plus pourquoi tu ne cherchais pas à la revoir, car après tout, elle n’est pas morte. »
Sur ceux, elle esquiva d’une nouvelle parade et en profite pour me frapper la tête du plat de sa main. Ma garde n’était pas bonne. Je m’agaçai de cette erreur de débutante.

–  « Non, mais c’est presque la même chose. Elle a décidé de refaire sa vie et nous avons appris à nous reconstruire à trois. J’ai réussi en partie à combler son vide pour mon frère et on s’en est sorti comme ça. »

–  « Je te sens … zen par rapport à la situation. Pas de colère, alors que tu pourrais en ressentir. Ce serait légitime. Mais on dirait que tu as « digéré » cet épisode de ta vie. »

–  « Effectivement. »
J’enchainai des techniques de combat au corps à corps apprises plus tôt dans la semaine pour tenter de la toucher. En vain.

– « Et tu n’as pas laissé de petit-ami en France ? »

– « Non. Je suis célibataire. »
– « Tu ne l’as pas toujours été. » Décidément, elle s’était bien renseignée.

– « Non, c’est vrai. » Mon silence devait la perturber. Espérait-elle sincèrement que je me montre plus loquace ?

– « Ça ne s’est pas bien terminé ? »

– « Oui et non. Je n’ai jamais été une fille super convoitée. Je suis toujours la bonne pote et cela me convient comme cela. Je n’ai rien à me prouver et n’ai besoin de personne à mes côtés pour me sentir bien dans mes pompes. J’ai l’humour et la répartie pour moi, depuis toujours. Quand j’ai commencé à devenir une femme, les regards ont bien changé dans un premier temps, mais l’aura de la bonne pote toujours pris le dessus. Quelques rares relations non sérieuses se sont succédé, sans plus. Pour sortir un peu de cette dynamique, je m’étais promise que le prochain à me faire des avances devrait me respecter et m’aimer pour ce que je suis vraiment. Ne plus essayer de m’adapter à l’autre et être moi-même, tout en ayant droit à des égards que malheureusement ces messieurs n’accordent qu’à des filles plus pimbêches et moins sympas. »

Les coups s’enchaînaient de plus en plus vite.
– « Pourquoi employer le passé pour ta promesse ? »
– « Ça me semble compromis maintenant que je suis une walkyrie perdue dans le Grand Nord Canadien. »

Mon sourire la décontenança.

– « Ça ne veut rien dire. L’avenir n’est pas totalement tracé. Du moins, c’est ce que je pense, malgré ce que me dit Elena. Tu pourrais encore être surprise. »

J’accélérai de plus en plus mes frappes et ne m’occupait plus de restreindre ma force. Elle reculait sous certains assauts. Mes gestes se faisaient plus impatients et moins précis.

– « Et ton meilleur ami ? »
– « Plus de nouvelles. Tant mieux peut-être. Un de plus épargné. »
– «Ça te fait mal?»
– « Non, c’est juste la façon dont cela s’est terminé qui me chagrine. Mais c’est la vie. »

– « Ne sois pas triste. Tu le reverras peut-être. »
– « Mieux vaut le contraire pour son bien. »
– « Tu te préoccupes beaucoup du bien-être des autres. Ton frère, Kenza, Damien. Et toi ? Qu’est-ce que tu veux ? »
Elle m’excédait avec ses questions. Son exercice pour lier connaissance ressemblait plus à un interrogatoire à sens unique.

–  « Qu’on accélère cet entraînement pour me rendre plus performante. A moins que ce ne soit encore une approche bidon pour me tester psychologiquement et voir si je ne risque pas de tuer Alexis ou une autre sœur ? »

–  « Non. Pourquoi tu dis ça ? »

Elle avait cessé l’exercice.

–  « Arrête, je ne suis pas idiote. Je sais ce qu’il se passe. J’ai entendu des bribes de conversation. Je sais qu’avec Kenza, on n’est pas comme les autres, à cause de notre lueur. Mais ce n’est pas pour autant que nous ne sommes pas dignes de confiance », dis-je, grinçante. « On ne sait peut-être pas ce que nous sommes, mais on s’en moque. Comme les autres, on a tout laissé tomber pour être ici. C’est déjà un gage de dévouement, non ? »

–  « Ainsi, tu te mets en colère quand on doute de toi. Tu n’admets pas qu’une personne puisse douter de ta droiture ou de ta loyauté », dit-elle presque pour elle- même. Un sourire de fierté accompagné sa pseudo trouvaille. « C’est ça qui t’a gêné avec Ankara ? C’est ce qu’elle t’a fait ressentir ? »

Et de nouveau, le regard perdu dans le vide, elle se remit à parler rapidement pour elle-même.

– « Ce sont les émotions fortes qui la font basculer sur son instinct de défense et sa bestialité. La colère et pas le menace. Elle pourrait le contrôler si elle… »

Mon sang ne fit qu’un tour.

– « Hé, mais j’ai l’impression d’être la seule ici qui s’occupe de ce qu’il va se passer. On s’en fout de ce qui me fout les boules ou pas. Navrée de ne pas avoir de complexe sur ma mère, mes ex ou autres. Dans peu de temps, une guerre approche. On ne sait toujours pas quand, ni combien ils seront. Tout ce que je peux te dire c’est que Kenza et moi ne sommes pas prêtes. Alors observe qui tu veux et autant que tu veux mais laisse-moi me concentrer sur mon entrainement pour ne pas y rester. Il y a une alpha à protéger, et Kayla m’a proposé un vrai entraînement au sabre, elle. »

Je partis en la bousculant violemment pour rejoindre Kayla chez elle. Même si son corps était entraîné à recevoir les coups et de ce fait, devenir insensible à ce genre d’altercation, elle fut sonnée par mes propos.

– « Crois-moi, je compte les jours plus que toi. »

Je ne la vis pas prendre le chemin du Conseil. Je ne sus donc rien du retour qu’elle fit à ses Alexis et ses consœurs concernant notre « entraînement ». Ankara était dans la pièce avec Callie et Sarah.

– « Alors ? », s’enquit l’alpha.
– « Impressionnant. Cet entretien de quelques minutes m’a appris beaucoup sur elle. Elle a développé une conscience de guerrière en dehors de son âme de guerrière. Elle change à une telle vitesse. »
– « Je suis désolée », commença Alexis.
– « Non, c’est très bien pour toi … et pour le clan. Son mental est bon. Elle est forte et solide mentalement. Elle n’a pas de problème d’identité ni de complexe. Elle t’est dévouée et c’est quelqu’un de droit, volontaire, obstiné voire têtu. Elle est totalement digne de confiance et a les pieds sur terre. Je ne sais pas si c’est sa lueur qui la fait progresser si vite mais sa force commence à être impressionnante. On sent qu’elle est sous contrôle et malgré tout, elle a une forte impressionnante pour une appelée de son gabarit et qui n’a pas encore un mois. »

– « Fais tout de même attention », préconisa Sarah. « Tu ne sais pas jusqu’à quel point elle peut encore se contenir. »

– « Je sais, mais si vous le permettez, malgré l’altercation d’aujourd’hui, j’aimerais continuer à l’observer. »

– « Vous vous êtes disputées ? », s’alarma Alexis.
– « Non, pas vraiment, je cherchais à comprendre ce qui déclenchait chez elle son instinct de voltigeuse, puisqu’elle semblait si stable, mais elle a mal interprété mes propos et a cru que je la prenais pour un rat de laboratoire. Elle n’a pas compris pourquoi on ne se focalisait pas sur l’entraînement en vue du prochain combat. Elle est partie en trombe pour rejoindre Kayla et s’entraîner au sabre. »

Alexis semblait embêtée.
– « Je ne crois pas que rester près d’elle à suivre son évolution soit bon pour toi. »
– « Ne t’inquiète pas. Elle ne sait rien de ce qu’il se passe. Elle n’a pas compris ce que cela implique, elle ne se sent donc pas coupable. Et pour ma part, je ne déprimerai pas. Promis. »
A cet instant, Sarah et les autres comprirent.

– « Tu veux dire qu’Elise… », commença Callie, la voix nouée par les sanglots.
– « Elena te l’a confirmé ? », reprit Sarah dans le même état. « Dis-moi que c’est pour un cristal, je t’en prie… »
Gwen secoua doucement la tête tout en restant digne.
Callie sortit de la salle en pleurant. Alexis ne put s’empêcher de venir consoler Sarah, la vue brouillée par les larmes.

– « Je ne peux te laisser l’observer. Ce serait inhumain ! »
– « Cela fait dix jours que je planche sur ces foutus écrits et nous n’avons quasiment aucune piste. Une lueur super douée risque de me remplacer, ce qui est déjà un honneur en soit. Cela en serait un plus grand si je pouvais être la première à l’étudier et percer le mystère. Elle a un potentiel… vous devriez voir ça. Elle garde tout sous contrôle alors qu’on sent que sa nature même bouillonne de dons. Je ne suis pas sûre mais quelquefois j’ai l’impression qu’elle cadre les émotions des autres, elle propage quelque chose qui calme la fureur des autres… C’est pour ça qu’il n’y a pas de débordements quand les jeunes appelées s’entraînent ensemble. Je pense que c’est elle, Alexis ! »

– «Quoi?»
– « Écoute. Je sais que ça parait fou mais ce n’est qu’un début. Je pense que ces lueurs sont des « super-nous ». Mais il faut les aider à se canaliser sur leurs dons pour les développer. Tu lui as demandé de refreiner ses ardeurs et regarde ce qu’elle arrive à faire sur sa nature à ta simple demande. En plus, elle n’a pas besoin de stimuli violents pour passer en mode bestial, pas besoin d’envahir son territoire ou de menacer une vie devant ses yeux. Le moindre fait de douter de ses capacités, comme Ankara l’a fait, la pousse à se révéler. Tu comprends ce que ça veut dire ? C’est son esprit qui la guide, sa raison. Pas simplement ses instincts. Les combinaisons sont infinies », s’emballait Gwen. « Imagine qu’elle pourrait basculer dès que tu lui en donnes l’ordre. Ou encore, imagine la puissance de frappe qu’elle aurait si son esprit et ses instincts lui ordonnaient de basculer ? Elle pourrait surpasser son âme sanguinaire, et… »

– « Assez ! », demanda Alexis, perdue.
– « Je t’en prie », reprit Gwen plus calmement. « Laisse-moi apporter ma dernière pierre à l’édifice. S’il te plaît. Au nom de tous les combats que j’ai menés à tes côtés. Laisse-moi comprendre. »
Le silence se fit pesant tant cette décision lui était dure à prendre.

– « D’accord », souffla l’alpha.

J’attendais dans son salon que Kayla se change et finisse de retrouver les haches et sabres.

–  « Bravo l’efficacité ! Et si quelqu’un t’attaquait en pleine nuit ? Tu lui répondrais « Attends, je cherche mon sabre » ? », plaisantai-je.

–  « Oh c’est bon ! Je ne cherche pas les sabres. Je médite sur l’endroit stratégique où je les ai rangés. »
La sonnette de la porte retentit.

– « Je vais ouvrir », lançai-je, à demi amusée par le fait que Kayla pensait à fermer sa porte alors qu’elle passait son temps à enfoncer celle des autres.

J’affichais encore ce sourire quand je vis Ankara apparaître dans l’encadrement de la porte.

– « Qu’est-ce que tu veux ? », l’agressai-je en première.

– « Je veux te parler », répliqua-t-elle sur le même ton.
Ces derniers jours sans la voir m’avaient presque faits oublier sa présence et surtout son incroyable carrure.

– « Vas-y. »
– « Aujourd’hui, tu as eu un entraînement avec Gwen. Ne t’avise plus jamais de la traiter comme tu l’as fait. »
Au son de sa voix, Kayla déboula des escaliers mais s’arrêta quand elle vit que nous n’en étions pas encore venues aux mains.

–  « Qu’est-ce que ça peut te faire ? Tu vas me faire croire que c’est une de tes amies ? En plus tu n’étais même pas là. Tu ne sais rien de ce qu’il s’est passé. »

–  « Je ne veux pas le savoir. Elle est là pour t’entraîner. »

–  « Pas pour m’entraîner. Pour m’observer à cause de ma lueur. Elle me fait perdre mon temps alors qu’un combat approche. »

–  « Et tu crois vraiment que tu nous seras utile ?! » Un grognement menaçant sortit instinctivement de ma gorge. Kayla se jeta sur moi pour m’encercler les bras.

– « En tout cas, tu n’es pas très maligne. Tu n’as toujours pas compris que si elle te suit, c’est surtout pour te former à prendre sa suite. Ton arrivée signifie la mort pour elle et elle a encore la gentillesse de subir tes caprices. Tu ne lui arriveras jamais à la cheville », me cracha-t-elle au visage avant de tourner les talons.

Elle m’avait laissée plantée là, les yeux dans le vague pendant que mon cerveau s’imprégnait de l’information. Même Kayla avait sursauté devant la dureté de ses propos. Pas de cette révélation. Elle avait sursauté devant la violence des mots, pas la véracité de ces derniers. Elle savait. Elle le savait depuis le début. Je retrouvais l’usage de la parole pour ne sortir que des bribes d’excuses entrecoupées de sanglots.

–  « Je ne savais pas… je te jure. Je ne voulais pas faire de mal. Je ne veux pas qu’elle meure à cause de moi. »

–  « Je sais. Chut…. Calme-toi. »
Devant les larmes qui me montaient aux yeux, elle ne put qu’ajouter :

–  « Ne t’en veux pas pour ça. Ce n’est pas toi qui décides de qui tu vas remplacer et on le sait toutes. C’est le destin. Gwen le sait. Elle-même a remplacé une voltigeuse qui était aimée et appréciée. C’est dur, même pour moi, car on l’aime toutes mais c’est sa destinée. On sera toutes remplaçantes et remplacées. »

–  « J’ai été dure avec elle, je m’en veux. J’ai dit qu’elle ne prenait rien au sérieux. Je ne veux pas de sa place. Je ne veux pas qu’elle meure. »

–  « Arrête. Ne pleure plus. Ça n’aidera personne. Reprends-toi. Elle savait que tu n’étais pas au courant et à mon avis, elle ne voulait pas que tu l’apprennes pour évoluer correctement. Ankara n’aurait jamais dû te le dire et surtout comme ça. Maintenant, sèche tes larmes. Tu continueras de t’entraîner avec elle, en faisant semblant d’ignorer ce secret. C’est ce qu’elle voudrait, je pense. »

–  « D’accord », lui promis-je en reprenant mon souffle.

–  « Bon, on laisse tomber l’entraînement de ce soir. Ce qu’il s’est passé restera entre nous. On va attendre le retour de Kenza. On ira toutes se débarbouiller et ce soir on dîne ici et regarde un film. Ça te dit ? »
Encore sonnée, j’acquiesçais et lui adressais un sourire pour la remercier.

– « Et puis, ça tombe bien. Je n’arrive pas à méditer assez fort pour retrouver les sabres. »

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L’Amazone – Roman Fantasy – Faits et fiction

A l’origine du sacrifice d’Iphigénie: La fin d’Agamemnon

Agamemnon et Ménélas s’étaient exilés à Sparte au moment où Thyeste reprit le trône. Le roi de Sparte, Tyndare, entreprit de reprendre à Thyeste le trône, quelques années plus tard, pour le rendre aux fils d’Atrée. Egisthe, redoutant la vengeance d’Agamemnon, se réfugie auprès du roi Cylabarès. Dans le même esprit que ses aïeuls, Agamemnon fit la guerre à Tantale, le tua et épousa sa veuve, qui n’était pas ravie de cette nouvelle alliance. Surtout qu’il tua également les dioscures, frères de Clytemnestre. Ménélas quant à lui épousa la soeur de Clytemnestre, la réputée Hélène de Troie. Clytemnestre donna à Agamemnon 1 fils (Oreste) et 3 filles (Electre, Iphigénie et Chrysothémis). Pendant dix ans, Agamemnon et Ménélas furent absents de leur patrie. Ce fut à cette période que Pâris enleva Hélène de Troie, femme de Ménélas, déclenchant ainsi la fameuse Guerre de Troie. Egisthe, travaillait sur sa vengeance et lorsqu’il vit que Clytemnestre n’était pas insensible à ses charmes (pour une femme bafouée, il est toujours difficile d’entretenir le feu de la passion pour son tyran de mari qui avait lapidé une partie de sa famille, son précédent époux, l’avait épousé de force, sacrifié la petite Iphigénie pour avoir des vents favorables avant de partir en guerre et d’y prendre Cassandre la voyante une fois sur place comme maitresse officielle), il en profita pour en faire sa maîtresse et échafauder un plan pour le tuer. Hermès tenta de dissuader Egisthe en lui faisant comprendre que d’ici son retour, Oreste deviendrait un homme et qu’il serait en âge de venger son père. Quand la Guerre de Troie se termina, Agamemnon et Cassandre revinrent à Mycènes. Clytemnestre fit semblant de les accueillir avec joie. Elle fit préparer un bain à Agamemnon. Cassandre ne put le rejoindre car elle était prise de transes prophétiques. Elle eut une vision de l’horreur qui allait se dérouler, car Clytemnestre espérait aussi se débarrasser de la voyante. Clytemnestre tendit une robe à Agamemnon à la sortie du bain. Coincé dans cette dernière, Egisthe en profita pour le transpercer de sa lame. Clytemnestre prit la lame et se mit à la poursuite de Cassandre dans le palais. Une bataille éclata entre les soldats d’Agamemnon et ceux d’Egisthe. Egisthe sortit vainqueur. Cassandre se vit décapiter avant que les deux enfants qu’elle avait eu avec Agamemnon ne soient également tués. 

Le mythe d’Iphigénie

Revenons à Agamemnon et tous ses crimes. Alors qu’il avait été désigné parmi tous les rois grecs pour diriger les troupes et assiéger trois, il s’aperçoit que les vents lui restent défavorables alors qu’il tente de lancer la flotte depuis Aulis depuis plusieurs jours. Il consulte un devin, Caulchas, qui lui explique qu’il a commis dans le passé sans s’en rendre compte une offense contre Artémis. C’est, selon lui, cette dernière qui retient les vents qui pourront pousser sa flotte sur les côtes de Troie. Pour l’apaiser, la solution est simple: Agamemnon doit sacrifier sa propre fille, Iphigénie, encore enfant. Même s’il refuse sur le moment, son frère Ménélas (merci Tonton! #oncledelannee) et Ulysse réussissent à le convaincre.

Iphigénie est attirée à Aulis par un stratagème: Agamemnon fait croire à sa femme Clytemnestre qu’Achille refuse de participer à cette croisade si on ne lui accorde pas la main de la jeune Iphigénie. Une fois arrivées sur place, Clytemnestre et Iphigénie apprennent le réel motif de leur voyage. La jeune enfant comprend les enjeux de cette guerre (pour que son oncle récupère sa femme?!) et accepte de se sacrifier pour la victoire de la Grèce mais maudit les siens. Attendrie par le courage de cette petite fille et le sort que lui réservait sa famille, Artémis se décide à la sauver sur l’autel à la dernière minute. Elle remplace la jeune Iphigénie par une biche et en fait sa prêtresse dans son temple en Tauride. Inutile de mentionner que Clytemnestre ne pardonnera jamais ce crime à son mari, dont le cv des ignominies était déjà bien chargé.

A partir de ce moment, Iphigénie participe au culte d’Artémis. Elle se charge en Tauride du sacrifice des étrangers qui abordent sans invitation dans la région. Par la suite, le mythe d’Iphigénie diffère selon les auteurs. Selon certains écrits, elle retrouve son frère Oreste et son ami Pylade quelques années plus tard, lorsque ses derniers débarquent en Tauride pour voler la statue d’Artémis dans son temple. Elle les aide dans cette entreprise et repart avec eux en Grèce. Selon d’autres récits, elle reste la prêtresse d’Artémis et est tellement assimilée à la déesse qu’elle devient la déesse hypostase d’Artémis (hypostase: quand une divinité ou une entité est faite de plusieurs personnes distinctes). Ainsi, Iphigénie serait la version “jeune fille” d’Artémis, d’où sa représentation à côté d’Artémis dans certains temples. Son nom (qui signifie “nourricière d’une race puissante”, ou encore “origine de la force”, “qui a le sens du sacrifice”, “le feu nouveau assimilé au nouveau-né”, faisant d’Iphigénie un ancien Feu divin féminin) peut ainsi être assimilé au mythe de la naissance d’Artémis, dont la mère Léto a connu 9 jours de souffrances avant de pouvoir lui donner naissance.

Toujours selon ces textes, à la mort d’Iphigénie, les croyants se sont mis à lui offrir les vêtements des femmes mortes en couche, alors qu’Artémis recevaient les vêtements des survivantes. C’est d’ailleurs ce point qui a introduit le nouveau mythe d’Iphigénie, qui à sa mort aurait pris le surnom d’Hécate.


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