Le Feu du Dedans – L’AMAZONE

Illustration chapitre 14 de l'Amazone - Le Feu du dedans - illustration de Chloé Rogez

Chapitre 14 – L’Amazone – Tome 1

La menace (L’Amazone, Chapitre 14)

La guerrière tournait en rond, comme un fauve en cage. Comme si la rage et le feu coulait dans ses veines. Elle attendait sa pythie qu’elle avait « conviée » à la rejoindre. Conviée est une version plus qu’édulcorée de son invitation. Elle était allée faire chercher de force sa Pythie par deux porteuses. Les bruits de leurs pas se faisaient entendre. Au détour du corridor, elle les aperçut. Sans égard ni respect, les deux géantes jetèrent au sol la Pythie dont l’état se détériorait à vue d’œil. Elle aurait de plus en plus de mal à cacher à son Alpha qu’elle dépérissait et que son temps était révolu. Elle ne n’aurait pas été pas étonnée d’apprendre que sa remplaçante ait déjà reçu son appel tant les visions du futur se faisaient de plus en plus rares. Heureusement pour elle, elle venait d’en recevoir une qui devrait gagner les faveurs d’Anya. Cette folle furieuse l’épargnera peut-être ce soir. Si seulement… car son don de régénération se trainait également.

– « Alors, tu t’es décidé à être utile aujourd’hui ? Ou faut-il que tu crèves de faim quelques jours de plus ? »

Ce n’était pas tant la faim qui la faisait le plus souffrir mais la blessure à sa cuisse qui ne cicatrisait pas assez vite. Une sensation de brûlure la relançait constamment. Les civiles seraient mortes depuis longtemps de cette blessure mais son corps tenait malgré tout le coup tout en lui faisant sentir la douleur lancinante d’une plaie qui ne se referme pas. Les conditions de sa détention favorisaient l’infection qui menaçait. Les joues gonflées des précédents coups administrés lui laissèrent toutefois assez de répit pour qu’elle puisse articuler.

– « Alexis ne sera pas là dans les jours à venir. Elle est partie avec sa pythie… »
Ces quelques mots lui coupèrent déjà le souffle. Son état était pire qu’elle ne le pensait.

– « Ah tu vois que les visions te reviennent avec un peu de motivation… », dit Anya dans un sourire déformé, en chiffonnant vigoureusement la tête de la pythie.
Sa voix hystérique donnait dès lors des ordres à ses généraux pour préparer une attaque éclair. La force brute et la surprise seront ses avantages sur ce clan sans alpha et non préparé.

Les jours passaient et mon irritation ne faisait que s’accroître. Un camp sans alpha n’est pas un camp. La vie de tous les jours, bien sûr, continuait selon notre routine. Mais les cours, les entraînements, les soirées entre filles, les coups de fil à la famille… rien n’enlevait ce voile d’irritabilité. A peine avais-je sauté de joie en recevant un email de Damien. L’arrivée du printemps au départ de Gab et Patrick me laissait de marbre.

J’entamais mon quatrième plat de lasagne à la cantine tout en fermant les yeux pour me relaxer. Depuis ma mutation, j’aimais me laisser aller à mes instincts et m’entrainais à repérer et identifier toutes mes sœurs par leur lueur, à l’aveugle. Mes nouveaux dons étaient peut-être le seul point de ces dernières semaines qui me faisaient sourire, hormis les souvenirs de la dernière visite de mes proches. Je repérais d’emblée les lueurs les plus connues : Kenza, Megan, Callie, Sarah, Belen, Tara, Gwen… puis je prenais mon temps pour apprécier celles des nouvelles appelées qui nous avaient rejointes ces dernières semaines. Elles étaient seize pour le moment. Cela faisait beaucoup parler les anciennes qui n’avaient jamais vu ça. Rien de rassurant pour notre avenir proche. Nous aurions pu en recruter plus mais les clans ennemis avaient mis la main sur une dizaine d’entre elles. Ces jours de retour de missions ratées amenaient une morosité dans tout le clan. Certaines d’entre nous partaient pour des missions business ou politiques. La mienne, ma toute première, devait arriver dans moins de trois mois maintenant.

– « Nous n’envoyons jamais sur le terrain une recrue de moins de six mois. Le risque d’instabilité ou d’immaturité est trop grand », avait insisté Sarah.

Je me demandais juste si cette mission aurait lieu avant le grand combat. J’aurais aimé montrer à mes sœurs à quel point j’avais progressé pour les rassurer à l’approche de la bataille. J’avais demandé à Elena avant son départ, mais elle ne voyait rien. Je devais bien être la sept cents cinquante-troisième personne à lui demander depuis le début du mois.

En son absence, je ne pouvais demander à Kenza. Elle se montrait distante. J’entendis un bruit de chaise que l’on traînait sur le sol. Je reconnus la lueur de ma colocataire. Je rouvris les yeux. Je ne voulais pas lui montrer que je m’entrainais car ma nouvelle condition lui rappelait ses derniers échecs. Même si elle avait promis à Alexis de ne rien tenter en son absence, je la voyais s’entraîner le soir et se faire violence pour établir cette fameuse connexion. Mais sans l’aide d’Elena, il allait sans dire que ses tentatives avaient peu de chances d’aboutir.

– « Que veux-tu faire ce soir ? »
L’air dépité de Kenza ne me donnait guère d’espoir concernant la soirée.

–  « Après mon entraînement, j’aimerais me poser un peu et lire quelques ouvrages que m’a donnés Elena. A défaut de savoir muter, je vais les aider à en apprendre plus sur notre sujet. »

–  « Kenza, relaxe… »

–  « Non », me coupa-t-elle. « Je n’ai pas trop envie d’en parler aujourd’hui. Je sais que tu vas vouloir me remonter le moral mais je ne suis pas d’humeur à recevoir un nouveau speech de cheerleader. »
A ma tête, elle se rendit compte des mots qu’elle venait d’employer.

– « Désolée, je ne voulais pas. »
– « Pas grave », repris-je pour désamorcer la situation. « Je te propose de t’aider pour ton entrainement ce soir. Je ne suis pas Elena, mais on peut essayer de nouvelles méthodes pour te réveiller. »

– « Tu ferais ça ? Merci ».

Soulagée, elle se détendit un peu. La pression qu’elle s’affligeait était insupportable, même pour les autres.
Vers dix-sept heures, nous nous mîmes en route vers la maison pour récupérer quelques-unes de nos armes d’entrainements et changer notre tenue pour de vieux survêtements. Perdues dans notre conversation sur les cours de pilotage, nous ne réalisâmes qu’une fois sur le perron que notre porte était ouverte.

–  « On avait fermé ce matin, non ? », demandai-je en confirmation. « Tu crois que c’est Megan qui serait passée et aurait oublié de claquer la porte derrière elle ? »

–  « Non, je ne l’ai pas vu faire ça… », dit-elle tendue. « Ce n’est pas une des nôtres car ce type de visions, je les ai. Recule et préviens les filles. »

A ces mots, je me penchai pour apercevoir ce qu’il se passait dans le salon à travers l’ouverture de la porte. Je vis un des chats, caché sous la table du salon, le poil ébouriffé, crachant le feu. Je dégainais par acquis de conscience une de mes armes. Kenza m’imita. Je fermai les yeux pour scanner une éventuelle lueur.

– « La maison est vide… », murmurai-je à mon amie.
– « J’envoie un texto aux filles et on entre calmement. »

– « Je te suis. »
Alexis nous aurait dit d’attendre dehors mais dans la mesure où la maison était désormais vide. Nous inspections pièce après pièce. Personne. Tout était à sa place. Nous montions les premières marches de l’escalier. Ma chambre était dans le même état que les pièces du bas. Mon deuxième chat était pourtant caché en boule sous ma couette, le poil hérissé et les pupilles dilatés. Kenza s’en aperçut. Je secouai la tête pour signifier que quelque chose n’allait pas et que nous devions nous préparer au pire. En entrant avec plus de précaution dans la chambre de Kenza, nous sentîmes le danger. Nous cherchions d’où cela pouvait venir. Une odeur étrange embaumait subtilement la pièce, pour peu que l’on sache y prêter attention. Un léger mouvement se dessina sous sa couette. Le regard de Kenza se fixa sur son lit tandis qu’elle approchait doucement. Elle gardait en joue sa lame affûtée et dirigeait sa main vers la couette pour découvrir rapidement le lit et connaître l’origine de ce phénomène. La couette s’envola au bout du lit pour laisser place à une dizaine de serpents entremêlés et passablement énervés. Un hoquet de surprise nous prit. Certains spécimens dépassaient les deux mètres. Je comprenais mieux le comportement des chats. Un des serpents se laissa glisser sur le sol. Il ressemblait à un python. Un de ces serpents capables de gober un lapin entier. Nous reculâmes prudemment, sans faire de mouvements brusques. Kenza saisit le battant de la porte à hauteur d’épaule pour la refermer derrière nous.

– « On attend les filles ? », demandai-je avec un sourire engageant.
– « Ok pas de souci », me répondit Kenza. « Pourquoi ma chambre et pas la tienne ? C’est quoi ce délire ? Tu crois que c’est Ankara ? »
– « Non, ce n’est pas son genre. Mais c’est étrange que tu sois la seule visée. Tu n’embêtes jamais personne. »
– « Ouais, c’est ton truc ça ! », dit-elle un peu blasée avec un faux air de reproche.

Je lui rendis un sourire crispé.
– « Il ou elle s’est peut-être trompée de chambre », tentai-je.

Je suivis le regard de Kenza, qui s’était posé sur ma porte de chambre, lui faisant face et sur laquelle était écrit mon prénom en lettres de bois. Cadeau de Kayla.

– « Tout le monde n’est pas aussi perspicace que nous », repris-je avec un brin d’humour et de dérision.

Elle rit nerveusement tout en s’éloignant de la porte pour intercepter les filles qui de tarderaient pas à arriver. Leurs lueurs m’étaient visibles depuis la rue. En me retournant une dernière fois sur sa porte. Je notais un petit mot laissé sur la poignée de sa porte. Comme une étiquette de sachet de thé qu’on aurait attaché sur cette dernière. Deux mots tracés dans un style calligraphique un peu trop guindé à mon goût. « Rejoins-nous », lisais-je à haute voix.

– « Bon, et bien visiblement tu as un fan club ! »

L’imprudence (L’Amazone, Chapitre 14)

Quelques heures plus tard, nous étions toujours au Conseil avec Megan, Sarah et Belen, discutant de cette rencontre importune dans notre maison. Une équipe était venue récupérer les reptiles dans la chambre de Kenza. Megan s’entêtait à vouloir prévenir Alexis. Sarah souhaitait ne la prévenir qu’à son retour dans la mesure où nous n’avions décelé aucune présence ennemie dans le camp. Le fait qu’elle connaissait les raisons de leur séjour jouait dans la balance. Les enjeux n’étaient que trop importants.

–  « Et si cette menace était plus importante qu’on ne le pensait », s’énervait Megan. « Comment tu vas expliquer à Alexis qu’on a laissé approcher des étrangers aussi près des filles et qu’on n’a décidé de ne la prévenir qu’à son retour. Imagine qu’ils aillent plus loin ? Et si c’était un test pour évaluer notre temps de réaction et les dispositifs que l’on met en place ? »

–  « Nous ne sommes pas certaines qu’il s’agisse vraiment d’une mise en garde sérieuse, et elle revient dans trois jours max… », contrecarrait Sarah.

–  « Mais tu es sérieuse, là ? »
Megan montait au créneau et se rapprochait dangereusement de Sarah. Je m’interposai rapidement pour apaiser les tensions. Je n’étais pas tellement fan de l’idée de faire revenir Alexis d’un voyage diplomatique. Nous étions celles sensées la protéger, pas le contraire. Je m’inquiétais bien sûr du danger pour Kenza, mais je pensais qu’avec l’aide de mes sœurs, nous pourrions la protéger en attendant le retour des autres.

– « Les filles, si ça se trouve, c’était vraiment moi qui étais la cible et la personne s’est trompée de chambre. Si cela se trouve, c’est une mauvaise blague d’Ankara ou d’une autre. »

Je savais que ce n’était pas le style d’Ankara mais je souhaitais désamorcer la situation. Ankara entra au même moment dans la salle de Conseil.

–  « Si je souhaitais vraiment t’éliminer, je préférerai utiliser une arme à feu que de me servir de ces pauvres bêtes, le crapaud. »

–  « C’est la grenouille, idiote ! Et qu’est-ce que tu fous là ? », m’énervai-je. Cette personne avait vraiment le don de me faire monter dans les tours en quelques secondes.

–  « Cela fait des heures que vous êtes enfermées et j’ai vu passer votre service de dératisation secret… », nous narguait-elle. « Plus sérieusement, comment pouvez- vous envisager de ne pas le dire à Alexis ? »

–  « Ah, vous voyez ! »
Même si cette réalisation l’horripilait, Megan trouvait un réconfort dans l’appui d’Ankara. Je m’apprêtais à enchaîner quand Ankara prit les devants.

– « Je vous écoute depuis un moment. Vous êtes tellement prises dans vos débats que vous n’avez même pas vu ma lueur. Comment espérez-vous protéger Kenza de cette façon en attendant le retour des autres voltigeuses ? Alexis a le droit de savoir. Elle n’est pas alpha pour rien. Elle seule saura trouver le protocole à mettre en place. Et au cas où vous vous posez encore la question : non, ce n’est pas une erreur de casting. Kenza est bien la cible de cet avertissement, même si c’est l’autre chieuse qu’on entend le plus. Je ne comprends même pas que vous puissiez en douter. Si une personne a été aussi habile pour déjouer notre sécurité et pénétré aussi loin dans notre camp pour déposer ce cadeau de bienvenue, alors elle ne ferait pas l’erreur de confondre les chambres à la dernière minute. »

Fière de son constat, elle sortit de la salle sans un regard en arrière et cet air hautain habituel sur son visage.
Kenza, assise silencieusement près du feu, prit la parole pour la première fois.

– « Trouvons un compromis. Fouillons de fond en comble demain tout le camp pour comprendre comment la personne a pu s’introduire chez nous afin d’évaluer le danger et les failles de notre système. Si nous trouvons quelque chose d’inquiétant, nous prévenons en fin de journée Alexis. Nous ne sommes plus à vingt-quatre heures près, non ? »

Sarah acquiesçait, je l’imitais. Megan le fit à contrecœur. Belen s’abstint de répondre, toujours pensive.

L’assaut (L’Amazone, Chapitre 14)

J’eus un peu de mal à trouver le sommeil. Ce n’est pas tant la peur qui m’empêchait de tomber dans les bras de Morphée. Je souhaitais juste comprendre le pourquoi et le comment. Pourquoi Kenza et pourquoi ce message, cette invitation… Comment cette personne était-elle parvenue à atteindre sa chambre. Les chats étaient revenus difficilement dans ma chambre et commençaient enfin à trouver le sommeil. Je me changeais les idées en repensant à mon coup de fil avec mon frère ou encore Damien, ces derniers jours. Je marchais sur des œufs avec les deux. Le premier se doutait de quelque chose. Pour le deuxième, je devais lui prouver que je valorisais toujours son amitié. Je me serai bien passée de ces contretemps. Damien avait accepté de m’écrire quelques jours plus tôt un email de quelques lignes pour me demander comment je m’habituais à ma nouvelle vie. Il avait réussi à me glisser quelques pics, mais je sentais une certaine censure d’Adam le Bienséant, qui avait dû repasser derrière lui pour relire le contenu. J’étais bien sûr heureuse de retrouver mon ami et lui répondis dans la demi-heure. Si j’arrivais à garder Gab et Patrick dans ma vie, je pouvais lui trouver une place. J’en étais persuadée. Les entraînements et les évènements du jour eurent enfin raison de moi. Je sombrais doucement.

Il commençait à faire chaud. Presque inconfortable. Mes membres s’alourdissaient. Mon corps était en feu. J’avais l’impression de me fondre dans mon matelas. Vu mon état de fatigue, cela devait faire à peine deux heures que je m’étais assoupie. Je me demandais s’il ne s’agissait pas d’un chat qui avait décidé de dormir sur ma cage thoracique. Ils étaient gentils mais un peu collants… Qu’est-ce qu’il était lourd ! Ça ne pouvait pas être un des chats. Le poids se faisait sentir sur tout mon corps. Et cette chaleur qui continuait de me consumer de l’intérieur. Le sentiment d’impatience commençait à me gagner aussi. Quelque chose devait se passer d’ici quelques minutes. Ça m’agaçait, je me sentais sur les nerfs. Et cette chaleur. Mon âme de guerrière ressentait aussi cette impatience. Plus je sentais cette pression, plus mon corps s’embrasait. La guerrière en moi voulait prendre le dessus. Que faisait-elle ? Je voulais juste dormir, j’étais tellement fatiguée. Comme si elle sentait cette fatigue ou mon refus de coopérer en lui laissant la main, elle m’envoya des décharges dans les membres. Mes bras et mes jambes bougeaient au rythme des spasmes. J’ouvris enfin les yeux. Mon âme de guerrière trépignait et n’en pouvait plus de ma léthargie. Je n’allais pas assez vite pour elle. Elle avait quelque chose à me dire, une urgence à me communiquer. Elle m’envoya une salve d’émotions qui me fit basculer dans la seconde. Le voile rouge se glissa sur mes yeux et mon corps se leva d’un bond de mon lit. Je ne le pilotais plus. L’âme de guerrière était aux commandes. Elle se dirigeait comme une furie vers la porte de ma chambre pour l’ouvrir en grand. La scène à laquelle j’assistais alors me prit au dépourvu. Dans une synchronisation parfaite, Kenza venait d’ouvrir la sienne, quasiment dans le même état que moi. Ses yeux furax regardaient dans le vide. Ses mains se crispaient sur l’encadrement de la porte. Son souffle était court et ses cheveux étaient en bataille. Elle n’était plus aux commandes de sa propre enveloppe. Elle avait dû elle-même être réveillée. Je ne pouvais même pas lui parler pour prendre de ses nouvelles car de mémoire, cela devait être la première fois qu’elle se retrouvait dans cet état. Un grognement sauvage sortit de ma gorge. Kenza, ou plutôt son âme de guerrière, me répondit sur le même ton. Je n’avais aucune idée de ce qu’il se passait mais si la guerrière qui faisait corps avec moi m’envoyait ces signaux de détresse, je devais lui accorder ma confiance et suivre le mouvement. Kenza et moi-même repartîmes d’un pas de félin pour prendre notre équipe et nos armes. Les gestes étaient mécaniques même si nous ne les avions pas répétés dernièrement : nous savions ce que nous avions à faire. D’un geste toujours synchro, nous pressâmes à l’unisson les boutons pour ouvrir l’accès secret aux souterrains et donner ainsi l’alerte. Je ne compris ce qu’elle voulait faire qu’au moment où j’appuyais sur le bouton. Pour quel motif souhaitait-elle réveiller tout le monde ? Que faisait-elle ? La guerrière de Kenza semblait tout aussi déterminée et ne montrait aucune hésitation dans ses gestes. Les sirènes retentirent dans tout le camp. Les lumières des maisonnées s’éclairaient à une vitesse impressionnante. Il était facile d’imaginer les guerrières mères de familles se précipiter pour cacher leurs enfants et les mettre à l’abri. Nous commencions à parcourir le labyrinthe de couloirs pour rejoindre le conseil. Nous ajustions les armes que nous avions pris au passage dans nos chambres et dissimulions ces dernières dans notre tenue. Le scramasaxe restait dans ma main. En remontant les escaliers vers le Conseil, je pris soin de condamner certaines pièces comme la bibliothèque, l’accès à notre hôpital ou encore notre cimetière souterrain. Alexis l’aurait voulu. Toujours dans le silence, Kenza et moi traversâmes la salle principale du Conseil pour ressortir par les portes principales. Megan et Belen organisaient les défenses. Tout s’orchestrait très vite. Les éclaireuses venaient de nous avertir d’une faille de notre zone défense sur les flancs ouest et sud. Il était hors de question que les assaillantes s’emparent du cœur de la cité, le Conseil. Ankara nous rejoignait pour prendre le lead de l’équipe qu’on envoyait en renfort et commençait à donner ses ordres. Le nombre des assaillantes était visiblement impressionnant pour une attaque surprise.

Megan se tournait vers moi :
– « Nous étions prêtes à les accueillir alors qu’elles venaient à peine de percer notre défense. Le signal venait de chez vous. Comment avez-vous su ? »
Ma tête se tourna vers elle dans un mouvement rapide et totalement déshumanisé. Ma guerrière continuait d’avoir le dessus mais elle acceptait de me laisser prendre la parole pour répondre à mes sœurs de combat. De ma mâchoire crispée, je réussis à lui répondre quelques mots.

–  « Ne me demande pas comment. Nos guerrières l’ont senti. Kenza a également basculé. »

–  « Ta guerrière est éveillée, c’est ça ? Le voile rouge est revenu ? », s’inquiéta Megan. Je hochai de la tête. Je restreignais mes efforts car la guerrière en moi était omniprésente et me laissait peu de marge de manœuvre.

– « Alors, après ça le crapaud, tu penses toujours qu’on n’avait pas besoin de prévenir l’alpha ? », persifla Ankara, qui tournait déjà les talons pour guider sa milice.

Un grognement bestial sortit de ma gorge et faisait vibrer ma cage thoracique. Megan m’arrêta alors que je m’apprêtai à sauter sur Ankara.

– « Ce n’est pas le moment », asséna Megan, furibonde. « Tu te reprends et tu vas nous prouver sur le terrain ce que tu essaies de devenir depuis des mois. Maîtrise-toi et défends le clan ! »

Ses mots me vexèrent mais elle avait raison. Tout comme Ankara d’ailleurs. Nous aurions dû prévenir Alexis. Il était hors de question que nous perdîmes ce soir une seule de nos sœurs, pour un excès de fierté. Je devais arriver à convaincre la guerrière de ne faire qu’un avec moi car nos gestes étaient encore trop fractionnés pour partir au combat. J’essayais d’envoyer des messages, des visions pour qu’elle comprenne ce que je souhaitais faire. Je la sentis se relaxer et accepter petit à petit l’idée. Nous devions faire vite. Les cris que j’entendais ne présageaient rien de bon. Un coup d’œil vers Kenza me fit comprendre qu’elle essayait de dompter également cette âme de guerrière avec laquelle elle venait de se connecter pour la première fois. J’imaginais sans peine sa confusion et l’état d’instabilité dans lequel elle devait être. Je sautai les quelques marches du parvis pour rejoindre le groupe de défense du sud qui s’était replié vers le Conseil, surmené par le nombre de guerrières du clan adverse. Je voyais des logos sur les rares équipements qu’elles partageaient en commun. Leur attaque n’était pas vraiment organisée et tout se rapportait sur leur nombre et la force sauvage qu’elles utilisaient. Le plus gros de l’affrontement se déroulait sous mes yeux. Très vite j’aperçus Gwen, Sarah et Tara qui tenaient tête à près de sept porteuses. Je me frayais un chemin vers elles, tout en apportant des coups de scramasaxes aux adversaires se tenant à bout portant. Je visais les épaules et les articulations des jambes pour les mettre hors d’état de nuire. Ma guerrière s’adaptait à mon état d’esprit et acceptait de ne pas porter de coup fatal. Je n’étais pas prête. Mes gestes étaient fluides, précis. Tout me semblait évidement. J’étais rassurée par cette symbiose avec elle. Rassurée et confiante pour la suite du combat. Kenza nous avait rejointes. Elle enchaînait avec brio les passes que nous avions pu travailler depuis notre arrivée. Son visage respirait enfin l’assurance retrouvée. Elle attaquait les flancs de ses adversaires et maîtrisait les parades, tout en assenant coups de poings, coups de pieds et frappes avec son glaive. Le scramasaxe n’était pas sa tasse de thé.

Je respirais leur animosité à plein nez, ce qui galvanisait ma propre guerrière, la nourrissait pour repartir de plus belle au combat. Je plongeais dans cette foule vindicative et me battais comme une diablesse. Je ne me fatiguais pas, j’avais d’ailleurs oublié la fatigue ressentie en début de soirée. Kenza, Tara, Gwen et moi assurions les arrières de chacune quand Sarah repoussait les adversaires lorsqu’elle se trouvait encerclée. Mes autres sœurs de combat se chargeaient de finir les amazones que j’avais sérieusement blessées. Cela me retournait le cœur. Le concept de la mort ne me rendait pas à l’aise, malgré ma nouvelle condition. Pourvu que nous ne perdions aucune des nôtres. Les amazones adverses se concentraient toutes sur la prise du Conseil. Nous n’entendions plus que les passes d’armes, le choc de l’acier contre l’acier mais surtout les échanges de cris féraux entre les deux clans. Aucune de leurs guerrières ne s’aventuraient dans les habitations. Elles n’étaient pas venues pour piller. Notre petit groupe se trouvait encerclé, mais nous continuons de résister. De plus en plus d’assaillantes se concentraient sur nous. J’enchainais les passes avec deux porteuses adverses. Elles ne cherchaient pas à me tuer, bizarrement. Du coin de l’œil, je pouvais voir que ce traitement de faveur ne m’était pas seulement réservé. Kenza et Sarah étaient fortement sollicitées mais rien de vicieux dans les frappes reçues, contrairement à celles que l’on essayait de porter sur Tara et Gwen. Très vite, mes yeux se reconcentrèrent sur le combat en cours. Une troisième assaillante essayait de me faire plier. Alors que je déviais la frappe d’une grande brune aux traits assez antipathiques, j’en profitai pour rentrer ma lame sous l’épaule de sa comparse. C’est à ce moment que la troisième me balança un énorme coup de pied dans le plexus. Mes yeux sortirent presque de leurs orbites quand je me vis tomber sur la lame d’une adversaire qui échangeait des frappes violentes avec Kenza. Vu l’angle, sa lame allait se loger directement sur ma gorge. Du moins, c’est ce qu’elle aurait dû faire, si le bras musclé de Tara ne m’avait pas réceptionnée pour me relancer sur mes adversaires qui ne s’attendaient pas à un retour aussi rapide de ma part. Je profitai de l’effet de surprise pour planter mon arme dans le genou de ma seconde assaillante et m’emparer de sa masse pour l’abattre dans le bas du dos de la troisième guerrière qui avait osé me prendre en traitre. Le nombre d’adversaires continuait d’affluer. Alors que le courage commençait à être en berne, nous vîmes arriver d’un saut par-dessus cette marée humaine Ankara, une lame dans chacun de ses poings. Dans une succession de passes rapides, elle désarma deux géantes de leurs lances et planta sa lame dans le ventre d‘une amazone, avant de la sortir aussi vite pour trancher le bras d’une quatrième opposante. Une vraie machine à tuer, je ne pouvais que reconnaitre son talent. Son regard ne laissait transparaître aucune forme de lassitude, de fatigue. Dans sa fureur, elle maîtrisait chaque mouvement et connaissait ses enchaînements par cœur. Même si Kenza et moi-même nous ne débrouillions pas trop mal, je ne pouvais m’empêcher d’admirer et d’envier la facilité avec laquelle elle magnait ses armes. Comme de simples extensions de ses bras. Lorsque son regard s’arrêta sur moi, elle projeta toute sa haine sur ma personne, ce qui ne passa pas inaperçu auprès des assaillantes. Je ne savais dire si cette colère était alimentée par son aversion habituelle pour moi, ou si le fait de ne pas avoir prévenu Alexis de l’incident du jour avait ajouté de l’eau à son moulin. Dans tous les cas, mon âme de guerrière n’apprécia guère cet échange de regards et redoubla d’animosité et de sauvagerie. Pour garder la promesse faite à Alexis et utiliser cette force à bon escient pour prouver mes compétences auprès de mes sœurs, je la concentrais dans un ultime effort vers le clan adverse. Certaines sœurs parties plus tôt sur le flanc sud revinrent en renfort. Elles avaient sûrement repoussé l’ennemi et sécurisé la brèche. Désormais en sous-effectif, les assaillantes tentèrent de se replier en laissant à l’abandon le corps des quelques sœurs tombées au combat. Dans une dernière initiative désespérée, je vis deux ou trois des leurs lancer des cailloux en notre direction. Ce n’est que lorsque Megan et Sarah hurlèrent de courir que je compris le danger. Les détonateurs de ces explosifs s’enclenchèrent et provoquèrent de petites explosions dans les zones où elles avaient atterri. Rien de comparable aux explosifs que l’on voit dans les films. Cela ressemblait davantage à des petites attaques que l’on voit dans les manifestations. Le but n’était visiblement pas de tuer tout le monde mais de viser de petits groupes pour causer suffisamment de pertes pour renverser la tendance du combat et repartir de plus belle pour elles. Devant l’inefficacité de leurs attaques, un repli général et très rapide se fit au sein de leurs troupes. Quelques-unes d’entre nous continuèrent de les pourchasser et Kenza et moi-même étions parties pour les suivre, mais Megan nous rattrapa. Avec Belen, elles se chargèrent de nous écarter et de nous mettre à l’abri avec Sarah. La frustration qui en découla chez nous n’avait pas de mot. Nous étions en symbiose avec nos âmes guerrières, nous avions encore de la ressource et surtout nous avions l’avantage. Pourquoi nous arrêter dans notre élan.

– « Ne discutez pas. Je vous expliquerai plus tard. » Le ton de Megan était sans appel.

Le courroux (L’Amazone, Chapitre 14)

– « Jeff, nous devons vous quitter. Je viens de recevoir un appel de Belen. Notre clan a été attaqué au milieu de la nuit. »

Le regard paniqué d’Alexis en entrant sans annonce préalable dans la salle de Conseil des Protecteurs avait eu raison du meeting qui se tenait avec certains de ses conseillers. Cette réunion n’était pas vraiment importante en soi, mais cela ne lui ressemblait si peu d’oser manquer de respect à son hôte. En la laissant parler, il comprit la portée de ce que cela annonçait. Il donna quelques ordres à ses équipes pour préparer leur départ au plus vite et dans les meilleures conditions. Pendant ce temps, il la bombardait de questions pour savoir ce qu’il avait bien pu se passer. Pourquoi attaquer un clan aussi grand mais si peu belliqueux que celui d’Alexis. De tous les clans d’Amazones et Walkyries, elle était une des alphas les plus sages et respectées. Était-ce le début des grands combats que les pythies semblaient annoncer ? Il proposa d’envoyer des milices pour les épauler, mais essuya un refus.

– « Es-tu toujours d’accord avec notre arrangement ? Me fais-tu confiance ? », lui demanda-t-elle plein d’espoir.

D’un coup d’œil, il s’assura que tous les conseillers avaient quitté la pièce pour la prendre dans une étreinte plus affectueuse et lui assurait d’un baiser chaste sur le front qu’elle aurait toujours sa pleine confiance.

Alexis venait d’atterrir sur le tarmac avec sa petite suite. Les échanges étaient assez tendus sur le retour. Entre les questions que certains n’arrêtaient pas de poser dans la panique et la chronologie des faits qu’ils essayaient tous de restituer pour comprendre ce qu’il s’était passé, il restait surtout en suspens la grande question qui gênait le petit groupe. Comment se faisait-il qu’Elena n’ait rien vu ? La plupart connaissait la réponse sans vouloir la formuler car cela signifierait le début de la fin pour leur sœur. Une pythie qui perd petit à petit ses dons de clairvoyance est en train de passer son don à la prochaine appelée et de ce fait, voit sa fin approcher. Personne n’avait envie d’évoquer ce point et tous préféraient se retourner le cerveau pour tenter de trouver une autre explication plausible pour cet égarement. La culpabilité envahissait Elena, même si le clan n’avait répertorié que deux blessés graves et quelques blessés légers. Le clan adverse avait perdu une dizaine de combattantes. Et au vu des membres retrouvés sur les zones de combat, certaines ne tarderaient pas à perdre leurs vies. Une combattante estropiée n’était plus aussi performante sur le terrain. Certaines alphas préféraient « s’en séparer ». Les autres occupants de l’avion ne souhaitaient pas alourdir sa conscience ou lui faire ressentir leur pitié. Mais le doute s’était immiscé en la pythie et le mal était fait.

Alexis ne pouvait s’empêcher de fulminer contre Anya. Le sigle sur les équipements des amazones mortes avait été identifié comme le sien. Ô bien sûr, lors des rares rencontres avec les autres alphas, elle s’était bien aperçue de l’animosité d’Anya à son égard. Mais elle ne l’avait pas pris spécifiquement pour elle. Cette dernière était tellement consumée par son âme de guerrière et la folie meurtrière qu’elle portait en elle, qu’elle réservait ce même traitement à toute personne qui l’approchait, même celles de son propre clan. Alexis avait entendu des histoires horribles sur les tortures qu’elle infligeait à « ses filles ». Elle ne comprenait pas que le Grand Conseil ne l’avait pas encore destituer. Le fait qu’elle soit aussi pacifique n’avait rien arrangé aux relations. Anya ne méprisait Alexis que plus encore. La prospérité du clan d’Alexis excitait sa convoitise, tant au niveau des richesses que des dons de certaines de ses protégées. A ce stade, Alexis se demandait si Anya avait eu vent des lueurs d’Elise et Kenza avant l’attaque, ou si elle l’avait appris pendant cette attaque surprise. Dans tous les cas, elle se doutait bien que ce n’était plus un secret. Allait-elle conservé cette information pour elle ? Allait-elle répandre la rumeur ? Alexis devrait préparer les filles à plus de combats dans les semaines à venir. Elle redoutait du peu de temps de préparation qu’avaient eu ses protégées à l’approche du grand combat. Dans son esprit, il n’y avait plus de doute concernant l’approche imminente de ce dernier. Elle allait devoir écarter les dangers un par un pour essayer de gagner du temps.

Elle s’approchait avec Kayla et Elena du premier SUV qui devait la ramener au camp. Elle donna ses instructions à la deuxième voiture qui devait prendre une route légèrement différente à l’entrée de ce dernier. Le trajet en voiture se fit sans un mot. Elles étaient fatiguées de parler et savaient que de nouvelles conversations les attendraient dans un peu plus d’une heure au Conseil. En arrivant sur les lieux, elles constatèrent les dégâts matériels. Il y en aurait pour deux ou trois semaines de travaux. Les fonds ne seraient pas un souci.

Elles étaient ennuyées de voir leur grande place quelque peu saccagée. Le faible soleil de cette fin d’après-midi n’arrivait pas à égayer la vue. Les quelques amazones qui se trouvaient dans la rue saluèrent rapidement leur alpha. Leurs regards étaient éteints. Elles n’avaient pas pris le temps de poser leurs sacs chez elles. Elles se précipitèrent dans la petite salle de réunion où les attendaient Megan, Sarah et les appelées. Les accolades précédèrent les mots. Toutes étaient rassurées de se retrouver saines et sauves. La charge mentale se fit sentir chez Alexis et un poids énorme semblait s’installer sur ses épaules quand elle avança vers son fauteuil central. Elle avait toujours refusé d’appeler cela un trône. Cela résonnait tellement « moyenâgeux » pour elle et cela aurait contribué à la distinguer des filles. Elle avait gardé ce rôle de composition pendant tout le trajet en avion et n’avait pas craqué mais la pression se faisait enfin sentir et elle n’avait plus envie de se cacher, même si elle ferait le maximum pour ne pas s’effondrer et alarmer ses filles. Elles avaient besoin d’un leader, maintenant plus jamais.

– « L’une d’entre vous peut-elle me redonner en détail les évènements de cette
nuit ? », demanda-t-elle posément, les traits concentrés et le regard fixé sur le tapis beige à ses pieds.

Megan, mal à l’aise, prit sur elle pour relater les faits. Elle ne le faisait pas de gaieté de cœur mais elle savait ce qu’elle devait dire. Elle s’avança de manière un peu trop solennelle à son goût vers Alexis.

–  « Deux brèches sur les flancs Ouest et Sud du camp ont été ouvertes approximativement vers trois heures et quart du matin. Mais les premiers signes d’hostilité remontent plus tôt la veille… »

–  « Pardon ? »
La nouvelle fut un électrochoc pour l’alpha. Elle s’était immédiatement redressée sur son siège. Ses yeux grands ouverts ne laissaient pas encore transparaître de colère. Seulement la surprise.

– « Un ou plusieurs individus, non identifiés pour le moment, ont réussi à pénétrer chez Kenza et Elise. Des serpents ont été déposés dans le lit de Kenza. Aucun blessé. Aucun vol à répertorier. Un message a été laissé sur sa poignée, l’incitant à les rejoindre, mais aucune signature. »

Megan sentait la tempête approcher. Même si elle avait été partisane de tout révéler depuis le début, elle resterait solidaire de ses sœurs et essuierait les dégâts.

– « Comment se fait-il que je ne sois prévenue que maintenant ? Je serais rentrée immédiatement et aurait été parmi vous pendant l’attaque ! ».

Sa voix montait très vite dans les tons. Les regards que s’échangeaient Elena et Kayla transpiraient le malaise. Il y avait d’une part l’incompréhension face à ce manquement de leurs sœurs et d’une autre la crainte de ne voir éclater un conflit, ce qui arrivait peu souvent. Elles optèrent pour le silence. Megan ouvrit la bouche mais fut coupée dans son élan.

– « C’est de ma faute, Alexis », intervins-je.
Je ne laisserai pas Megan porter le chapeau pour une décision pour laquelle j’avais si lourdement milité. Le regard d’Alexis ne décolérait pas. Megan s’était retournée vers moi et ses yeux semblaient me dire de me taire. Mais bon, à ce stade, il était trop tard pour faire machine arrière.

– « Lorsque Kenza et moi avons découvert que la porte de la maison était ouverte, j’ai scanné avec mes nouveaux sens cette dernière à la recherche d’une présence.

Pendant ce temps, Kenza avait prévenu nos sœurs. Nous nous sommes aventurées dans la maison désertée pour trouver les chats prostrés de peur sous les meubles. Nous avons fouillé la maison en espérant comprendre ce qu’il s’était passé, et c’est là que nous sommes tombées sur les serpents. Nous avons doucement refermé la porte en attendant que des guerrières plus expérimentées avec ce genre d’animaux puissent intervenir. Malgré la dangerosité de ces bêtes, nous n’avons pas mesuré l’ampleur de la menace car ce message n’était pas signé, la maison était vide, intacte et personne n’avait tenté de nous approcher directement. Megan voulait te prévenir mais j’ai demandé d’attendre ton retour car nous ne voyions pas l’urgence. »

Mon regard ne savait plus où se poser mais je savais que je devais maintenir le contact visuel avec Alexis si je voulais garder une partie de son respect.
Kenza se sentit obligée à ce moment de s’avancer et préciser qu’elle avait également insisté pour ne rien lui révéler dans l’urgence de la situation.

Alexis était silencieuse mais ses lèvres étaient pincées.
– « C’est la décision la plus stupide que vous ayez pu prendre. Ne vous étonnez pas de ne pas partir en mission ou être prises au sérieux avec ce genre de réactions face au danger. »
Ces mots faisaient mal et instinctivement, nos épaules s’affaissèrent.

– « Je suis encore plus déçue par vos sœurs plus anciennes qui auraient dû passer outre votre demande et me contacter. »

Ce fut au tour de Gwen et Megan de se faire plus petite.
– « Certaines de nos sœurs auraient pu y passer. Des membres de cette communauté, qui n’ont pas les dons nécessaires pour se défendre, auraient pu y passer. Des enfants ! …. Je suis tellement en colère et déçue. Comment pouvez-vous prétendre aller sur le terrain avec le peu de recul dont vous venez de faire preuve ? »

Alexis s’était levée pour faire les cent pas. Jamais Kenza et moi ne l’avions vue en colère, ce qui rendait ses mots plus douloureux.

– « Que s’est-il passé ensuite ? »
Alexis tentait de prendre sur elle pour connaître la suite des évènements.

–  « Kenza et moi avons senti le danger arriver. Nous nous sommes réveillées en même temps en basculant sur nos âmes de guerrières… »

–  « Pardon ? », me coupèrent Kayla et Gwen. Megan reprit la suite.

– « Elles ont donné l’alerte en l’activant via les souterrains. Les familles ont pu se mettre à l’abri et nos sœurs ont eu le temps de se préparer et nous rejoindre sur les champs de bataille. Le clan d’Anya a attaqué simultanément les flancs sud et ouest du camp. Ankara, qui nous avait rejointes, a pris la tête de la milice envoyée sur le flanc sud. Le flanc ouest s’est retrouvé un peu débordé alors que nous étions prêtes à les accueillir au moment de leur entrée. Nous nous sommes concentrées sur la défense du Conseil et très vite nous avons été séparées en petits groupes. Il est très vite apparu que les attaquantes cherchaient à nous éliminer mais voulaient épargner celles d’entre nous avec un don. »

Cette révélation me laissait stupéfaite. Nous n’avions pas eu le temps de débriefer avec Megan suite au combat.

– « Lorsque nos sœurs sont revenues du flanc sud, les combats se sont intensifiés sur la place. Nombreuses sont les opposantes tombées au combat ou mutilées. »

Le regard d’Alexis était soucieux à l’évocation du destin qui attendait ces survivantes mutilées.

–  « En voyant la tendance se renverser, les guerrières d’Anya ont lancé de petites grenades pour essayer de toucher plusieurs d’entre nous. Nous avons limité les dégâts et ne déplorons que des blessés légers. En voyant leur dernier plan d’attaque échouer, elles se sont repliées. Nous avons commencé à évaluer l’ampleur des méfaits au sein du camp et avons fini l’état des lieux dans la matinée. Les blessées se reposent à l’hôpital du camp et comme tu as pu le voir, nos équipes remettent dès à présent de l’ordre dans nos ruelles. »

–  « Elles étaient donc venues à la Cueillette des Talents ? », grinça Kayla, écœurée par la lâcheté de leur dernière attaque et le motif de cette altercation.

–  « Non », lâcha Megan. Son regard inquiet balaya la salle et hésita à se poser vers notre Alpha. « Pas seulement. Les couloirs menant aux appartements d’Alexis ont été visités… »

Les reproches avaient continué de pleuvoir et nous sentions la déception d’Alexis à notre égard. Les filles avaient bien tenté de nous couvrir en présentant un front uni mais cela n’avait pas changé la donne. Nous nous étions séparées en début de soirée après qu’Alexis nous ait donné les nouvelles consignes de sécurité. Plus d’entrainements, plus de rondes et moins de liberté… Kenza et moi étions sur le chemin du retour. Nous ne voulions qu’une chose pour oublier ces dernières 24 heures : un bon bain relaxant. Nous allions nous préparer un repas chaud avant de rejoindre nos chambres et … dormir. Oh mon dieu, je rêvais désormais de mon matelas. Mon âme de guerrière s’était retirée une fois que Megan nous avait mises à l’écart, laissant à l’endroit de sa fureur et de sa hargne un vide béant où la fatigue accumulée avait eu désormais tout l’espace de se loger. En allait-il de même pour Kenza ? Je m’arrêtai en chemin en réalisant la teneur de ces mots.

– « Mais tu t’es enfin connectée avec ta guerrière ! », criai-je sous l’effet de la surprise. Kenza qui avait continué son chemin pendant quelques pas se retourna vers moi avec un sourire fatigué mais plein de fierté et de soulagement.

Ses yeux pétillaient. Cela faisait tellement du bien de revoir cet éclat !

– « Comment ça s’est passé ? Dis-moi tout ! »
Je ne lui laissais pas le choix. Comme une adolescente qui échangeait les derniers potins avec sa meilleure amie, j’éprouvais une vive curiosité envers sa guerrière et je voulais savoir comment s’était passé la connexion avec cette dernière. Pas tant pour la comparaison avec mon expérience. J’éprouvais depuis quelques semaines un vrai engouement pour toutes les particularités que notre espèce présentait. Je voulais en savoir plus.

–  « Je n’ai pas le temps de m’approprier quoique ce soit en fait. Elle s’est imposée à moi pendant mon sommeil. J’ai dû apprendre à la connaitre et la contrôler en moins de dix minutes et ça m’a un peu perturbé. Après le combat, elle s’est retirée si vite que je n’ai pas eu le temps d’avoir cette conversation dont tu parlais quand tu t’es connectée. Cela me frustre un peu. J’aimerais que tu m’aides à l’occasion à me reconnecter à elle, alors qu’il n’y a pas de combat. »

–  « Bien sûr, avec plaisir. Je ne suis pas experte mais je peux te réexpliquer comment j’ai fait pour ma part… Tu n’as pas eu trop mal la première fois ? », m’inquiétai-je.

– « J’ai vu plein d’images un peu décousues et j’ai ressenti une forte douleur. Je me suis réveillée en peu en sueur mais ça s’est passé très vite. Je n’ai pas l’impression d’avoir souffert autant que toi. »

J’appréciai cette vraie complicité retrouvée. Cette normalité était tellement aagréable après les derniers évènements. Nous étions arrivées à la maison.

– « Nous nous étions dit de nous entraîner plus souvent ensemble à l’approche du combat. Même si nous n’avons pas franchi le cap de tuer quelqu’un, et entre nous je ne suis pas sûre de le vouloir un jour, je trouve qu’on s’en est plutôt pas mal tiré. »

Kenza souriait, les traits tirés. Elle attendait que je finisse ma tirade.
– « Ça te dit qu’on s’entraîne plus souvent que prévu ? Non pas que j’ai envie de ressembler à cette tarée d’Ankara mais il faut avouer qu’elle était impressionnante… On s’est bien débrouillée mais bon… Et puis avec les nouvelles règles de sécurité imposées, je pense que les entraînements vont se durcir pour toutes, afin de nous préparer, non ? »

Elle accepta avec plaisir. J’avais retrouvé la vraie Kenza. Pour la première fois depuis la visite de mes proches, j’avais de quoi me réjouir.

Passer sous silence (L’Amazone, Chapitre 14)

En début de soirée, des retrouvailles moins chaleureuses avaient lieu. Elena n’était pas spécialement en conflit avec elle mais leurs échanges étaient rares. L’horloge de son salon sonnait dix-neuf heures. Quelqu’un frappait discrètement à sa porte. Elle se précipita pour ouvrir. Gwen ne devait pas rentrer avant une heure mais mieux valait ne pas pousser sa chance et en finir au plus vite cette entrevue. Son acolyte n’approuverait pas. Personne ne le ferait. Leur alpha ne devait pas l’apprendre. Sans un mot, elle laissa son invitée entrer. La porteuse se pointa devant elle.

– « J’ai bien eu ton message. Que me veux-tu ? »
– « Je t’ai appelée pour te proposer une stratégie qui devrait mettre fin aux plans d’Anya. En toute transparence, je suis en colère de ne pas l’avoir vu mais ceci me fait penser qu’elle sent ma fin et qu’elle va en profiter rapidement pour cueillir nos sœurs avec des dons pour enrichir son armée, avant que je ne meure et que l’on me remplace. ».

La porteuse évaluait la situation et comprenait le danger de cette Alpha qui ne reculerait devant rien. Elle ne se dérida pas pour autant.

– « Prenons les devants avant que l’une d’entre nous nous trahisse. Même si nous sommes toutes loyales à Alexis, on ne sait pas ce que la terreur peut faire à certaines d’entre nous. Notamment les plus jeunes… »

La prochaine attaque allait pour sûr arriver plus tôt que prévu. Ses sœurs de combat seraient-elles prêtes ? Son alpha se rendrait-elle compte qu’elle devrait passer enfin à l’attaque et en finir avec cette attitude de neutralité qui ne rimait à rien dans l’histoire des amazones et walkyries ?

– « Et donc ? Que proposes-tu ? »

– « Tu vas jouer l’agent double. »
Cette dernière ne comprenait pas encore comment elle allait pouvoir faire cela. Elle laissa la petite voltigeuse lui exposer son plan. De toute façon, rien ne la pousser encore à accepter.

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L’Amazone – Roman Fantasy – Faits et fiction

La deuxième vie d’Iphigénie: Iphigénie en Tauride

Pour rappel, nous avions laissé la pauvre Iphigénie sauvée par Artémis au dernier moment, dissimulée dans un nuage et transportée en Tauride où elle fut nommée Grande Prêtresse. A l’époque, cette prêtresse était l’unique personne à être autorisée à toucher la statue d’Artémis que convoitait Oreste pour son absolution. Oreste, tout comme sa soeur Electre, ignorait qu’Iphigénie avait survécu. Cette dernière, reconnaissante envers Artémis et désireuse de se montrer pieuse et respectueuse, procédait, malgré sa répulsion, aux sacrifices humains lors des cérémonies en l’honneur de la déesse. 

Oreste et Pylade avaient organisé une mission commando pendant laquelle ils accostaient en Tauride avec 60 rameurs, en pleine nuit, pour dérober la statue dans le temple de la déesse. Repérés par des bergers, ils furent amenés au dit-temple pour être sacrifiés (en même temps, lorsqu’Oreste prit d’un nouvel accès de folie, se met à aboyer puis chasser vos vaches avec un couteau en prétendant que ce sont les Erynies, il y a de quoi être mécontent). Alors que se préparaient les préliminaires du sacrifice, Oreste se mit à parler en grec à Iphigénie. Sous le choc, elle lui répondit dans sa langue natale et d’un mot à l’autre, ils finirent par découvrir l’identité de chacun. Oreste lui raconta alors ses malheurs. Iphigénie se décida alors à voler la statue elle-même, la sortir du temple et la donner à son frère. Thoas, roi des Tauriens, entra alors dans le temple en s’inquiétant du temps que la Grande Prêtresse mettait pour sacrifier les étrangers. Iphigénie eut la présence d’esprit de faire semblant d’apaiser la statue et indiqua au roi qu’aucun des deux étrangers ne pouvaient être sacrifiés dans ce temple. Puisque l’un des deux avait commis un matricide, ce dernier allait souiller le temple d’Artémis, comme il avait déjà souillé la statue. Elle se proposa de se rendre en bord de mer pour laver la statue. En attendant, Thoas et les autres croyants devaient en attendant purifier le temple et s’assurer que tous les badauds qui vivaient près de la route menant à la côte restent chez soi en détournant les yeux des impies. Arrivés près de la côté, Oreste, Pylade et Iphigénie chargeaient la statue dans une embarcation. Les quelques serviteurs du Temple qui les avaient aidé à transporter la statue se rendirent compte de cette arnaque et prirent les armes. Après un combat difficile, Oreste et son équipage purent enfin prendre le large. La statue fut installée dans le temple d’Artémis Tauropolos où Iphigénie finit ses jours  en tant que prêtresse (#relocalisationprofessionelle). Elle recevait les vêtements des femmes aisées mortes en couches?


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