Je n’ai su qu’hésiter – L’AMAZONE

Illustration chapitre 7 de l'Amazone - Je n'ai su qu'hésiter - illustration de Chloé Rogez

Chapitre 7 – L’Amazone – Tome 1

Mon nouveau chez moi (L’Amazone, Chapitre 7)

Le van n’en finissait plus de tourner dans une valse de virages. La visibilité était plus que réduite en raison de ce décor de neige. Le jet avait atterri une heure auparavant dans le petit aéroport de Churchill. Dans le Manitoba, d’après la signalétique de ce petit aéroport, quasi désert. Kayla m’avait réveillée, d’un tonitruant « rise and shine, Amazon ! » afin que je puisse « m’habiller ». Sur le moment, encore assommée de fatigue, je n’avais pas saisi ce qu’elle voulait dire. Maintenant, je comprenais mieux l’utilité de ces manteaux et pantalons doublés. Moins vingt-sept degrés celsius…. Ne serait-ce que sur le chemin entre le jet et le van, j’aurais eu le temps de me geler les os. Même la cage des chats avait été doublée d’une couverture polaire pour les mettre à l’abri. Je ne cherchais plus à remettre en question la réalité de la situation. Il y avait peu de chances que j’y arrive de toute façon et j’avais autre chose en tête pour le moment. J’étais beaucoup trop occupée à détailler le paysage.
– « Pourquoi avoir atterri à cet aéroport si on fait autant de route ? »
– « Parce que c’est le plus discret pour notre jet, voyons », dit Megan.
Bien sûr ! Toujours un train de retard. Tant que je ne réfléchirais pas plus vite, je me jurais de ne plus poser ce genre de questions. Histoire de ne pas passer pour une idiote.
Mes accompagnatrices avaient tout fait pour rendre le trajet calme et supportable. Mais leur enthousiasme quant à leur retour au « clan » était de plus en plus perceptible. Kayla en trépignait presque.
– « On dirait des enfants qui sont en route pour Disneyland », dis-je en partageant ma réflexion.
– « Non », rigola Belen. « Nous sommes juste contentes de retrouver nos sœurs et notre maison. Partir du clan est toujours dans un contexte de mission. Alors quand on rentre, c’est la détente. »
– « Parle pour toi, Bel’ ! », calma Callie. « Les entraînements au sabre et les cours de mandarin sont loin d’être une partie de plaisir à mes yeux. »
– « Des entrainements et des cours… », répétai-je, perdue.
– « Oui, c’est ce que je t’expliquais ce week-end », dit Kayla. « Alexis veut que nous développions notre intellect autant que nos muscles, ne serait-ce que pour les missions. »
– « Vous avez bien parlé, dites-moi », fit semblant de gronder Megan. « Et que t’as dit Kayla ? »
Ne souhaitant pas mettre ma comparse dans l’embarras, je déviai subtilement le sujet.

– « Rien de précis. Avec mon frère et mon père autour, il était difficile de parler en général. J’étais surtout surprise par les moyens financiers déployés. Et puis elle m’a raconté son « appel » pour m’aider à relativiser le mien », finis-je dans un sourire.

Kayla me remercia d’un clin d’œil discret. Le silence était revenu dans l’habitacle. Je ne compris qu’alors la gêne que je venais d’occasionner en remémorant les conditions douloureuses de son appel. Même si Kayla gardait le sourire, je me sentais honteuse et stupide. L’intéressée ne m’en voulait pas le moins du monde, trop contente de voir que je l’avais couverte pour ses bavardages indiscrets. Je décidai de réparer ma maladresse comme je le pouvais.

– « Et pour vous ? Comment avez-vous su ? »

– « A toi l’honneur Meg’ »
Je crus un moment que Megan ne répondrait pas à l’invitation de Callie.
– « Oh, pour moi, rien de palpitant. J’ai été appelée très tôt. Vers 14 ans, ce qui est très jeune et surtout très rare. Venant d’un orphelinat, je n’ai pas donné énormément de difficultés au clan pour cacher mon départ. Une simple fugue sans suite a suffi. D’ailleurs, Alexis faisait partie de la troupe venue à ma rencontre. Notre alpha d’alors s’appelait Ava. » – « On n’a jamais compris pourquoi tu avais été appelée aussi tôt alors que ta révélation s’est faite sur le tard », dit Belen pour elle-même.
– « C’est vrai », admit Megan, pensive. « Je n’ai jamais su non plus. J’ai mis cinq ans à recevoir mon flambeau. »
– « Cinq ans ? Mais qu’as-tu fait pendant tout ce temps ? C’est aussi long en général ? Je veux dire, pour moi… »
– « Non rassure-toi. Une fois que ton destin de walkyrie est scellé, tu passes le flambeau dans les mois qui suivent », dit la douce ibérique avec un peu d’amertume.
– « Alors qu’as-tu fait ? », insistai-je.
– « Je me suis entraînée. J’ai observé. Beaucoup. Alexis m’a pris sous son aile. Le fait d’être juste une appelée ne te prive pas de toutes tes facultés. Tu es juste encore engourdie. J’ai donc développé ma carrure, appris à manier le glaive, le scramasaxe, la hache… J’ai aussi appris beaucoup de langues pour les diverses missions, acquis les premiers soins à apporter lors des combats… J’ai patienté, même si c’était long. Mais ça a été nécessaire pour mon tempérament et mon corps. Tu ne me croiras peut-être pas, mais j’étais plus frêle que toi, la grenouille. »
Je ne réagis pas au surnom, tellement cliché pour les étrangers. Je souris aux nouveaux élans de sympathie qu’elle me témoignait.
– « C’est en effet un peu dur à croire. »
– « Je sais, mais c’est la vérité. J’étais une crevette par rapport à maintenant. Et pourtant, je n’étais pas destinée à être une voltigeuse. »
Cette dernière remarque fit sourire les autres.
– « C’est peut-être ça, ma force. La patience ! »
– « Bah ce n’est pas l’amabilité en tout cas », charriait Kayla.
– « Estime-toi heureuse, Scarface ! Si je n’avais pas pris sur moi, je t’aurais botté le cul depuis longtemps. »
– « Tu l’as fait », bouda Kayla, ce qui déclencha une nouvelle salve de rires.
Pendant leur échange, je détaillais Megan. Chaque minute passée en leur présence me laissait les découvrir sous un nouvel angle. La peur et la précipitation de notre rencontre avaient occulté ces nouvelles observations. Lorsque Megan était détendue, ses yeux marrons pouvaient presque esquisser un sourire, ce qui la rajeunissait. Je ne connaissais pas son âge, mais elle devait avoir la trentaine. Ses cheveux auburn tombaient sur ses épaules, lorsqu’ils n’étaient pas attachés. La ligne de ses muscles cassait toutefois cette harmonie, rappelant sans cesse sa différence avec les autres femmes. Plus petite que Kayla et Belen, elle approchait les un mètre soixante-quinze. Ses muscles semblaient plus volumineux que ceux de ses consœurs. Contractés, ils devaient bien surpasser ceux des autres guerrières. Comme une culturiste, l’aspect « bête de foire » que donne la peinture corporelle de ce show en moins. Je me demandais d’ailleurs si elles me forceraient à manger des blancs d’œuf comme les sportives de haut niveau pour prendre en masse musculaire. Je n’aimais pas trop ça. Je préférais de loin les viennoiseries avec une tasse de thé ou de chocolat chaud. Mes pensées s’égaraient, je me recentrai.

– « Mais comment s’est réellement passé ton appel pour toi ? Tu t’es sentie différente, comme Kayla ? Car moi, je n’ai toujours rien ressenti. »
– « C’est normal, tu es une voltigeuse, une euménide. Ta raison d’être est de protéger. Ton âme de guerrière répond à la bienveillance. Pour moi, il y a bien eu un déclic, mais pas aussi marquant que celui de Kayla. »

Elle me raconta rapidement son enfance, un peu à l’écart des autres enfants qui la taquinaient et se moquaient de sa chevelure plus rousse à l’époque. A croire que la mise à l’écart par nos pairs est un gène commun et dominant chez les appelés. Et puis, un jour, au bout d’une énième mesquinerie de gosses dans une salle de classe isolée : la révolte. La petite chef de la bande la chahutait, la poussant sur la table, lui tirant les cheveux, lui mettant des claques pour faire rire la clique. Ce qui parait inimaginable aujourd’hui tant sa carrure était désormais impressionnante. La colère lui monta, comme une voix qui grondait dans ses tripes et remontait en s’amplifiant à chaque brimade, jusqu’à atteindre ses tempes. Ses yeux étaient encore plein de larmes de l’humiliation fraîchement subie. D’un geste, elle avait projeté à l’autre bout de la pièce la pimbêche. D’un seul coup de poing, elle fracassa son pupitre d’alors, saisit un des bouts de bois grossièrement taillé en forme de pieu et le projeta sur son bourreau. Le missile s’était planté dans le plâtre du mur, sous la force de la jeune appelée. A trois centimètres de la carotide. Affaire classée. Déclarée turbulente et incontrôlable, malgré sa résignation sur les nombreuses humiliations subies en silence, la jeune Megan devait partir pour un centre pour jeunes délinquants et enfants « difficiles ». Ava l’avait recueillie à ce moment. Par chance, aucun clan ne l’avait encore repérée. D’après Belen, Ava avait dit à son sujet « qu’il fallait qu’elle la récupère maintenant. La petite était perdue et les autres clans l’auraient traquée… et puis surtout, elle aurait démonté l’orphelinat pierre par pierre, cette petite teigne ». Cette confidence fit rire le petit groupe. Le sang de mes veines battait au rythme de ses émotions. Je dus prendre sur moi pour me contrôler. Sur ces pensées nostalgiques, les récits des autres s’enchaînaient. Malgré les souvenirs de solitude ou de violence chez certaines, il n’y avait aucune tristesse dans leur voix. Elles semblaient avoir trouvé leur équilibre au sein du clan d’Alexis, qui d’emblée remportait ma sympathie à travers leurs histoires. Les conversations cessèrent naturellement : nous arrivions au camp. Dès le premier coup d’œil, je fus sonnée.

Je ne savais pas vraiment à quoi je m’attendais. Je n’étais pas stupide au point d’imaginer un clan de femmes se baladant dans un campement en pleine forêt avec des peaux de bêtes ou des armures. Mais je m’attendais toutefois à quelque chose de brutal, presque ancestral, ce qui n’était pas du tout le cas. Un ordre presque mythique, avec une histoire de plusieurs millénaires, s’offrait à ma vue et résidait en plein cœur du Canada… dans ce qui ressemblait à une petite ville bordée de quartiers résidentiels. Des lotissements entiers de maisons quasi similaires étaient dissimulés dans cette forêt immense aux routes sinueuses. Les trottoirs étaient déblayés de leur neige. Les façades des maisons étaient identiques. Seuls les rideaux et l’aménagement des jardins donnant sur la rue différaient. Mais tout était calme et … symétrique, ce qui pouvait rendre l’endroit suspect pour des gens avertis. Mes yeux ébahis continuaient de scruter l’endroit au fur et à mesure que nos fourgons approchaient. Les piaillements d’impatience de mes compagnes ne me distrayaient pas de mes observations du « camp ». Chaque maison avait à disposition un grand garage et devant chacun d’entre eux trônaient de gros pick up, des 4×4 ou berlines du dernier cri. Les plus grandes marques automobiles étaient représentées. Quelques habitantes se baladaient dans les rues malgré le froid, comme s’il leur fallait justifier la légitimité et surtout la véracité d’un tel endroit. Au cas où des étrangers s’échouaient dans un tel quartier et qu’il leur fallait cacher la nature de cette ville factice.
Kayla se rapprocha de mon visage et se colla à la vitre.

⁃ « On vit à deux ou trois dans ces maisons, un peu comme des collocs, ce qui est plus sympa », se forçait-elle à expliquer. « En général, on a chacun un étage ou un coin de la maison et nous partageons la cuisine. Mais on ne mange pas souvent chez nous. On préfère toutes se retrouver à la cantine. C’est le gros bâtiment, sur la droite. C’est un peu notre restaurant du campus. »

L’idée de cette vie de guerrière assez libre me décevait presque. Je ne m’en plaignais pas, au contraire. Je les avais juste imaginées vivant ensemble dans des dortoirs, prêtes à partir au combat à la moindre alerte. J’étais soulagée de ne pas me confronter tout de suite à la brutalité de ma nouvelle situation. Une partie de moi croyait encore à une erreur faite sur la personne.

Alors que nous remontions l’avenue principale, Megan et la conductrice du deuxième fourgon klaxonnaient à tue-tête. Belen et Callie se mettaient aux fenêtres pour crier leur joie à leurs voisines. Les chats et moi-même sursautions à ce vacarme.
– « Et de deux cette semaine ! Yeah ! », hurlait Callie.
– « C’est bon ? Vous l’avez ? Elle est en vie ? », scandait une guerrière en scrutant les vitres teintées du véhicule pour tenter de m’apercevoir.
– « Yeah ! », répondit Belen sur le même ton en levant un poing victorieux.
Je fus étonnée de sa soudaine désinvolture. Elle, pourtant si calme et modérée jusqu’ici. Megan, déchaînée sur son klaxon, était partagée entre rires et petits cris nerveux.
– « Tu étais attendue », me rassura Kayla. « N’aie pas peur. Il s’agit d’une fin de mission pour nous. Le stress retombe enfin. »
Je hochais la tête, encore perdue par cet accueil. A aucun moment, je n’avais senti de tension chez elles.

–  « Où allons-nous maintenant ? »

–  « On rejoint Alexis et les autres au conseil pour te présenter. Alexis est impatiente de te voir. Elle nous a soulé de messages pendant notre trajet retour, pour savoir si tu allais bien, si tu ne manquais de rien… Elle s’inquiète de savoir si tu voudras bien rester avec nous, mais surtout elle voulait te savoir en vie. Toi et tes proches. »
J’acquiesçai machinalement, les lèvres pincées. Je n’avais pas encore réfléchi à l’éventualité de rester indéfiniment avec elles. Je leur étais redevable de m’avoir sauvée, certes. Et je n’avais plus vraiment de vie qui m’attendait, que ce soit à Paris ou ailleurs. Je ne pouvais définitivement pas repartir chez Patrick et Gab, sans les mettre en danger. Du moins pour l’instant. Depuis le moment où j’avais compris la nécessité de m’éloigner de mes proches, je m’étais dit que j’aurais l’occasion de me décider une fois que j’aurais vu le clan et son « campement ». Maintenant que la prise de décision approchait, je recommençai à baliser.

La voltigeuse (L’Amazone, Chapitre 7)

Au détour d’une rue identique aux autres, nous arrivions enfin au « Conseil », qui ressemblait assez à une mairie, en fait. Le bâtiment était un peu plus imposant que les autres maisons mais se fondait toujours avec naturel dans ce décor de banlieue chic américaine. Un petit parking était mis à disposition pour les impressionnants véhicules des habitants de cette cité. De ma fenêtre teintée, je pouvais voir une foule de walkyries, en tenue civile pour la plupart, qui commençaient à s’amasser à la porte du bâtiment, alertées par les coups de klaxon. Megan garait le fourgon. Un brouhaha de joie et d’impatience résonnait de l’extérieur. Malgré la présence de Kayla et Belen à mes côtés, je n’en menai pas large. Au moment d’ouvrir les portes, le silence s’installa tout à coup. A la première manipulation de la portière, la foule s’ouvrit en deux pour nous laisser un chemin vers les marches du Conseil. J’apercevais une délégation de six ou sept jeunes femmes au bout de cette allée humaine. Je devinais sans peine que la personne au centre devait être Alexis. Je posais à peine mes yeux sur la silhouette élancée de cette guerrière qu’un énorme choc me fit tressaillir. J’aurais pu être surprise par son visage sage et bienveillant, ou intimidée par son allure époustouflante de prestance et de charisme. Non. Je ne pouvais juste décrocher mon regard de son image, sans raison particulière. Si ce n’est celle que mon sang bouillonnait à sa vue. Je ne comprenais pas pourquoi mais à cet instant précis, je sus que je ne pourrai me focaliser que sur son image. Pas pour des raisons d’attirance physique. C’était juste une évidence sur le moment. Je sentais désormais sa présence, sans l’avoir encore approchée ou appris à la connaitre. J’aurais pu jauger le reste de la délégation qui se distinguait pourtant par un mélange inhabituel de « gabarit » chez les walkyries. Mais je m’en moquais. La présence de trois personnes plus fluettes (sûrement des « voltigeuses » comme moi) autour d’Alexis, cette foule de géantes avec la diversité de nationalités représentées dans cette assistance, … je m’en foutais désormais royalement. Rien ne me faisait décrocher d’Alexis. J’avais l’impression d’entendre son cœur battre, d’être tellement proche d’elle que j’aurais pu… j’aurais fait … je n’en savais rien en fait. Cette attraction était tellement forte et illogique. J’étouffais sous les bouffées de chaleur que m’envoyait mon corps en surtension. Je ne savais comment interpréter ceci. Cela n’avait rien à voir avec une passion amoureuse, et était bien différent de ce que j’avais pu connaitre. Elle ne me voyait pas, nous ne nous connaissions pas mais un regard sur elle et je savais que je pourrais la voir et même la retrouver les yeux fermés. Mon esprit l’aurait retrouvé.

Kayla m’observait pendant cet instant de confusion et ne perdait rien du spectacle. Belen et Megan descendirent du véhicule, me laissant volontairement encore dissimulée au fond du fourgon. Je la contemplais, cherchant en vain la raison de l’affolement de mes sens. Kayla me tint la main pour me rassurer, tout en me répétant que tout irait bien, que j’étais une des leurs maintenant.
– « Bonjour Alexis. Ravie de te revoir. »
– « Bonjour Meg ‘. Contente de toutes vous revoir, mes walkyries. Le trajet s’est bien passé ? »
– « Oui, nous avons fait le ménage derrière nous et notre nouvelle guerrière nous a même aidées dans cette tâche. »
Les sourires d’Alexis et de deux des voltigeuses se firent alors plus francs. La troisième, d’origine berbère, restait à l’écart.
– « Et où est notre petite Kayla ? », questionna Alexis.
– « Je suis dans le fourgon », cria gaiement l’intéressée. « Je suis un peu intimidée par la haie d’honneur que vous me réservez. Je sais que je le vaux bien, mais quand même. »
La plaisanterie de Kayla détendit l’atmosphère et des sourires éclairèrent les visages parmi la petite foule qui continuait de s’amasser autour du Conseil.
– « Allez, viens nous rejoindre, crapule ! Et présente-nous Elise ! », s’enquit Alexis dans un sourire.
Belen intervint, plus pour l’assistance que pour Alexis, avec laquelle elle avait déjà eu cette conversation.
– « Avant de vous la présenter, sachez que la façon dont nous l’avons trouvée et les talents dont elle a déjà fait preuve nous laisse présager fortement qu’elle est une appelée de la race des voltigeuses. »

Un mouvement de surprise se soulevait dans la foule. Seule la délégation restait stoïque. Kayla m’invita à la suivre d’un geste rassurant. Avais-je aussitôt franchi la porte du fourgon, qu’un nouveau hoquet de surprise et désormais de déception se fit entendre dans cette assemblée. Mon pire cauchemar prenait vie devant mes yeux. La lumière du jour qui se reflétait dans la neige m’aveuglait un peu. Je ne distinguais pas vraiment les visages et expressions de ces guerrières mais je sentais leur frustration. Pendant un court instant ma fascination pour Alexis s’évapora pour laissait place à la panique. Je me remettais à trembler. Megan vint à ma rencontre et me tint la main pour m’amener à Alexis. Elle me pressait les phalanges comme pour me redonner confiance ou me faire réagir, je ne savais pas bien.

– « Et depuis quand un moucheron défend un faucon ? », lança perfidement une guerrière aux cheveux de jais, à la droite d’Alexis.
– « Ferme-la, Ankara », aboya Megan.
– « Hé ho, calmez-vous », voulut apaiser Belen.

– « Non. C’est vrai : elle n’en a pas l’air comme ça », intervint brutalement Kayla, piquée à vif. Elle nous avait rejointes près d’Alexis. « Cette petite a reçu son appel il y a moins d’une semaine. Elle a survécu à une fusillade tout en protégeant ses proches, alors qu’elle n’avait que TROIS jours ! Et lorsque nous sommes venues la chercher en pleine nuit, elle a eu la présence d’esprit de se défendre et de m’entailler le bras ». Elle donna plus de poids à son discours en montrant ses blessures. « Alors qu’elle était assommée de médocs pour la soulager des trente points de suture qu’elle avait reçus sur le corps deux jours plus tôt ! C’est également elle qui nous a donné l’alerte quand nous nous sommes fait tirer dessus par le clan d’Anya, nous évitant des pertes au sein de l’équipe. Et c’est encore elle qui a tout quitté comme vous, pour être là. »

A bout de souffle et les yeux lançant des éclairs, elle scrutait la foule à la recherche d’une guerrière qui oserait la défier. Des cris d’indignation s’étaient bien élevés à l’évocation de la fusillade du clan ennemi, mais désormais le calme régnait. Kayla ne voyait pourtant pas à ce moment le regard meurtrier d’Ankara à mon égard. L’animosité qu’elle affichait n’avait pas dû s’arranger quand Kayla et Megan étaient venues à mon secours. Ses yeux étaient noirs de rage et de mépris. Si Megan s’était montrée froide à nos débuts, alors je me retrouvai en face de la calotte glacière avec cette guerrière. Je n’avais jamais ressenti autant de colère provenant d’une même personne.

– « Bonjour Elise. Ravie que tu sois enfin parmi nous. J’espère que tu te sentiras à l’aise et que tu resteras. »
Toutes m’observaient. Le doute et la déception restaient sur leurs visages. La voix d’Alexis m’avait replongée un moment dans cet inexplicable état de béatitude. Consciente cette fois de l’attention dont je faisais l’objet, je pris sur moi pour sortir de mon mutisme et faire honneur à Megan et Kayla. Sans quitter des yeux Alexis, je lâchai la main de Megan pour m’avancer vers elle.

– « Bon… bonjour Alexis. Je suis également ravie de te rencontrer. Je voulais aussi toutes vous remercier pour ce que vous avez fait. »
Les deux voltigeuses sur sa gauche échangèrent un rapide sourire. Alexis validait d’un mouvement de tête ma démarche de socialisation, consciente de la difficulté que cela devait représenter pour moi au vu des dernières minutes écoulées.

– « Génial … On recrute nos euménides chez les cheerleaders maintenant. »
Même si j’avais entendu cette remarque mesquine de ladite Ankara et les quelques rires moqueurs qu’elle avait déclenchés, je ne détournai pas les yeux d’Alexis. Je me contentais de déglutir, pour cacher mon embarras et ma peine. Cela dut se lire sur mon visage. Quelques secondes d’un lourd silence plombaient cette ambiance qui se devait d’être initialement festive. De nouveau, une vague de chaleur m’envahit. Tout se précipita alors. Une voltigeuse et la petite berbère émirent un hoquet de surprise, les yeux dans le vague. Au même instant, la deuxième voltigeuse se figea, comme je le fis. Un voile rouge vint se poser devant mes yeux. Mon corps se fléchit sur lui-même. Un sentiment d’urgence, comme pour la fusillade. D’instinct, ma main gauche agrippa Alexis par le col. Mon corps se plaqua au sien d’un bond et ma main droite partit loin derrière mon champ de vision pour arrêter quelque chose en plein vol. Ma tête n’avait pas bougé d’un iota dans l’action. Mes yeux étaient restés mi-clos. Seule ma mâchoire s’était crispée, laissant échapper un grognement sous l’effort. Un cri de surprise s’était soulevé dans l’assistance. Lentement, je me retournais par réflexe pour voir ce que serrait ma main droite. Le voile rouge avait disparu aussi vite qu’il n’était apparu. Mes doigts s’étaient refermés sur une lame, sans se couper. Megan, derrière moi, avait encore son bras en suspension. Je détenais par le manche le poignard à double tranchant que Megan avait trouvé bon de jeter sur Alexis. Je n’eus pas le temps d’afficher mon ahurissement. Je l’interrogeai du regard pour comprendre son geste. J’étais alors perdue par l’incohérence de la situation, mais surtout pétrifiée de ce nouveau réflexe et des émotions qui en découlaient.

– « Et voilà ce qu’on vous disait », hurla Kayla. « Elle n’a qu’une semaine mais ses instincts sont déjà éveillés. Elle n’a pas hésité à se jeter sur notre chef, quitte à y laisser sa peau. Elle ne sait rien de nous, rien d’Alexis, rien de sa nature … mais son âme de guerrière a déjà pris le dessus. »
Elle marqua un silence avant de reprendre.
– « Et maintenant celle qui a déjà fait preuve d’autant de prouesses au bout de dix jours s’avance… »
J’assistais à cette scène, interdite. Alexis, que je protégeais encore dans mes bras, me regardait avec fierté. Plus épatée par l’exploit que surprise par l’assaut. Personne dau sein de l’assemblée n’avait bougé.
– « C’est bien ce que je pensais », reprit Kayla. « Alors maintenant, vous allez me faire le plaisir de garder vos remarques pour vous. C’est la plus prometteuse et à l’approche des conflits, en plus de protéger notre alpha, elle pourrait avoir à sauver votre cul ».
Ses mots et le ton employé me choquaient un peu, elle qui était si amicale et joyeuse en temps normal. Cette vague de surprise passée, je sentais une brûlure dans mon dos. Ankara déversait cette fois toute la haine dont elle était capable en un regard qu’elle me destinait. Une autre s’en était aperçue. Megan vint me chercher et me saisit par les épaules. J’aidais Alexis à se relever avant de rejoindre Megan. Elle m’enleva le couteau des mains, puis le remit à sa ceinture. Se penchant vers l’alpha, elle lui confia dans un souffle :
– « Désolée, Alex. Il le fallait pour qu’elle soit respectée »
Puis se tournant vers moi :
– « Toi, ma grenouille, suis-nous. On va t’installer dans ta maison avec les chats. »
Je la suivis, tout en jetant un rapide coup d’œil à Alexis. Ne plus pouvoir la voir dans l’immédiat me semblait bizarre. En croisant Ankara, Megan ralentit.
– « Toi, je t’ai à l’œil. Qu’importe que tu sois de mon clan, je te dépèce si tu oses ne serait-ce que lui causer la migraine. »
– « Si elle est si forte, pourquoi as-tu si peur que je te la casse ? », répondit-elle avec un sourire railleur.

Megan m’entraina en grognant. Je ne comprenais pas pourquoi Ankara me détestait autant, mais à ce moment, j’aurais préféré qu’elle me crache son venin en pleine figure plutôt que de me toiser comme une proie éventuelle. Sa manière de faire me rendait encore plus insignifiante et me faisait douter de mes nouvelles capacités.

La cristallisation (L’Amazone, Chapitre 7)

– « Ta maison n’est pas loin de celle d’Alexis. Tu la partageras avec la nouvelle appelée. Ce sera plus pratique pour les entrainements. »
Megan continuait de me présenter ma nouvelle vie en ignorant mon état second. Je n’arrivais pas à m’intéresser à tout ce qu’elle me montrait dans ce quartier.

– « Pourquoi as-tu fait ça ? Et si je n’avais pas réussi ? »
– « Tu l’as fait et je le savais. Tu progresses vite. »
– « Il y a encore quatre jours, tu me prenais pour une idiote sans cervelle et maintenant tu me testes en prenant Alexis pour appât ? »
– « Calme-toi », me dit-elle en me prenant par les épaules.
Nous étions au milieu de la rue, à la vue de toutes et surtout de mes détracteurs.
Je vis Kayla et Belen me rejoindre avec les chats et bagages. Nous avions laissé la voiture sur le parking. Nous n’étions pas loin du Conseil.
– « Regarde bien autour de toi, Elise », reprit Megan. « Tu es ici chez toi, en sécurité. Même si ton accueil n’était pas celui que tu étais en droit d’attendre, personne n’attend de toi que tu sois une guerrière accomplie avant l’heure. Tu es encore une appelée. Tu n’es pas censée être en possession de toutes tes capacités. Tu es là pour être protégée et formée. »

Cherchant à croiser mon regard pour me convaincre, elle reprit d’un ton plus enjoué.
– « Je sais que c’est encore nouveau et que tu ne peux pas encore le percevoir. Mais tu as beaucoup changé ces derniers jours. Ta lueur d’appelée est impressionnante, plus que la moyenne. La déception que tu as perçue chez les autres est le reflet de leur surprise. Elles ont ressenti une force et un potentiel considérables dans le fourgon. Elles s’attendaient juste à voir apparaître une bête de muscles ou un profil plus senior, dirons-nous. Un corps à la hauteur de cette lueur. Cette dernière ne fait que s’amplifier. Elle rayonne, d’où ma volonté d’avancer notre retour. C’est aussi pour cela que j’ai confiance en toi. »
Sa sympathie me rassurait, même si je doutais sérieusement de son jugement. Le voyage avait dû la fatiguer plus que de raison. Instinctivement, je reculai, balançant la tête d’un signe de découragement. J’aurais tant aimé y croire.
– « Megan a juste voulu leur rappeler ce qu’elles ont senti avant leur déception », intervient Belen. « Le test de Megan fut un peu soudain et surtout inconsidéré », dit-elle dans un sourire crispé destiné à Megan, « mais ce fut efficace. Et ne t’inquiète pas pour Ankara. On en fait notre affaire. Elle a toujours été bizarre. Tu n’es pas la seule à être visée. »

– « Au pire », dit Kayla, « j’habite la maison à côté de la tienne. Je serai ta voisine. Je te surveillerai. Et puis tu ne seras jamais seule. Entre les cours, les entrainements et la cantine, on sera toujours là. Et le peu de temps qu’il te restera, tu seras bien contente de le passer à dormir. »
Tout ceci aurait dû finir de me réconforter mais je ne pouvais m’empêcher de penser que le danger était bien à ma portée, si elles éprouvaient le besoin de me protéger d’Ankara. Je regardai le visage de mes garde-du-corps attitrés, les regards d’espoir qu’elles me tendaient. Et là, la réponse que je cherchais depuis quelques jours s’imposa presque tristement. Comme si je n’avais pas vraiment eu le choix. Ce quartier résidentiel, ces nouvelles « amies », toute cette neige autour de moi…. C’était ma nouvelle vie. Rien de glamour. Pas même une révélation de vocation. Je n’avais jamais vraiment eu le choix depuis cette nuit où les deux géantes m’avaient extirpée de mon lit. Elles l’avaient fait pour mon bien mais pas pour mon bonheur. Le seul et vrai choix que j’avais aujourd’hui était l’acceptation ou le déni. Embrasser cette nouvelle condition et faire de mon mieux pour gérer cette nouvelle vie, ou continuer de me persuader qu’il me restait encore un jour une échappatoire. Pour résumer, soit je devenais la walkyrie qu’elles attendaient de moi et je faisais tout mon possible pour me fondre dans ma nouvelle vie avec un peu d’entrain, soit je devenais une walkyrie médiocre qui se ferait peut-être tuée au premier combat. Laissant Gab seul… ou encore Alexis se faire tuer. Étrangement, mon cœur souffrait à cette seule pensée. Ma décision était prise. Je me mettrai au sport et j’y arriverai. Le sport, ma bête noire.

– « Montrez-moi mon château, les filles ! Il commence à faire froid ici. Et c’est quoi cette histoire d’entrainements ? Parce que je ne vous l’ai peut-être pas dit, mais je ne suis pas du tout du matin. »
Les sourires sur leurs visages signifiaient que mon message était bien passé. Je serai une des leurs… pour le temps que j’arriverai à survivre.

– « Allez, viens ma grenouille ! Tes chats commencent à avoir des stalactites aux moustaches. »
– « Ah non, pas toi, Belen. Tu ne vas pas t’y mettre avec ce surnom. C’est d’un cliché ! », dis-je en roulant des yeux.

Mes protestations ne firent que déclencher de nouveaux rires. Nous arrivions quelques mètres plus loin à mon nouveau « Home Sweet Home ».
Comme toutes celles du quartier, elle était assez grande avec un énorme garage. La façade blanche se noyait dans le décor enneigé. Un préau de bois rendait l’aspect plus chaleureux. Un salon de jardin et une balancelle, tous de bois pour rappeler le porche, étaient prévus pour les après-midis passés à siroter du thé. Quelle mascarade ! Comme si j’aurais le temps d’en profiter avec ma colloc’ ! Les volets de couleur rouge, en rappel de la couleur du toit, tranchaient dans ce paysage de coton. Le jardin à l’entrée semblait bien entretenu malgré l’épaisseur de neige. Les fenêtres, bordées de jolies rideaux assez modernes, laissaient transparaître la chaleur du foyer, via la buée qui s’y était formée.

Je fis un rapide tour sur moi-même pour contempler le paysage. Tout était paisible. Des silhouettes se dessinaient au loin. Certaines s’arrêtaient pour tenter d’en savoir plus sur notre petit groupe. Peut-être étaient-elles déjà au courant de l’arrivée de la « Guerrière Poids Plume » … D’autres passaient leur chemin et vaquaient à leurs occupations. Quelque chose au loin capta mon attention. Je plissai les yeux pour tenter de comprendre ce dont il s’agissait.

–  « Elise, tu viens ? »

–  « Kayla ? J’ai cru voir un homme au loin… Vous êtes au courant qu’il y en a un qui se balade ici ? »
– « Oui, bien sûr », s’esclaffa-t-elle. « Nous ne sommes pas des barbares. Nous vivons aussi avec la compagnie masculine. Tu ne t’attendais quand même pas à ce que l’on se coupe aussi un sein pour mieux tirer à l’arc ? »
Sans attendre de réponse à sa plaisanterie, elle enchaîna comme pour elle-même.
– « Certaines d’entre nous vivent ici avec leur conjoint, même si ces derniers ne sont pas leurs cristaux. Mais ça encore, c’est une autre histoire. Alexis t’expliquera. En tout cas, leur présence est plus facile pour simuler une vie normale lorsque nos familles et amis nous rendent visite. »

Alexis devait m’expliquer décidément beaucoup de choses. Mais j’oubliai déjà cette remarque pour me concentrer sur la dernière phrase de Kayla. Ainsi, c’est dans cette maison que Patrick, Gab et Damien pourront me rendre visite. Un autre regard autour de moi me rassura. Cela faisait une très bonne couverture, tant qu’ils ne demanderaient pas de visiter mon bureau. Une mairie, un quartier irréprochable, des voisins presque normaux, avec un simili centre-ville (dont Belen m’avait un peu parlé plus tôt) … ce sera parfait pour leur séjour. Je m’engageai vers le patio, pressée de me mettre au chaud. Malgré le faible soleil hivernal, l’air se refroidissait.

Nous avions à peine posé les valises et libéré les chats de leur cage, que la délégation formée plus tôt au conseil se joignit à nous, sans la foule cette fois. Ankara n’était pas non plus de la balade, ce qui me rassura. A peine prenais-je le temps de souffler qu’une vague d’émotions fit bouillir le sang dans mes veines. Avant de le constater de mes propres yeux, mes tripes l’avaient sentie : Alexis venait d’entrer dans la pièce.

– « Désolée pour tout à l’heure, ma petite Elise. Et encore merci de m’avoir protégée de cette attaque perfide et mesquine de Megan ! », finit-elle dans un rire complice avec cette dernière.
– « A votre service pour ce genre de mission, Chef ! », s’inclina Megan non sans humour.

Toujours anesthésiée par ces nouvelles émotions, je ne pus que lui rendre un sourire. Je pris sur moi pour détourner mon regard d’Alexis, et pris le temps de détailler ses acolytes. Les trois semblaient assez fluettes par rapport à la « nouvelle » norme que j’observais dans ce camp. Sûrement des voltigeuses également. Si les deux premières, qui encadraient l’Alpha, paraissaient expérimentées, la troisième restait en retrait, presque maladroite. Mon examen passa inaperçu parmi les discussions et retrouvailles des autres membres du clan.

– « Alors, quoi de neuf, Alexis ? Comment va Kenza ? », demande Belen en dirigeant son regard vers la petite timide.
– « Bien, très bien. Nous n’avons pas encore commencé son entraînement. Nous vous attendions. »
Concentrée sur les détails du visage de la jeune berbère, je réussis à saisir l’essentiel de ce bref échange. Elle ne transpirait pas la confiance en soi. Je devinai que Kenza était la jeune appelée trouvée quelques jours plus tôt par les autres walkyries. Je comprenais mieux alors sa réserve naturelle et son manque de prestance face aux deux autres voltigeuses. Un élan de sympathie m’envahit tout de suite. Instinctivement, je lui souris, ce qu’elle me fit en retour. Du même âge que moi, elle avait de magnifiques yeux verts-bleus, un brin rieur, même si cet atout ne transparaissait pas dans la situation actuelle. Ses cheveux ondulés adoucissaient des traits qui se voulaient déterminés, francs. L’ensemble faisait d’elle une personne d’emblée sympathique, selon mes critères. J’allais m’en faire une allier, tout comme Kayla. Je ne craignais pas de cohabiter avec elle. Je sentais déjà que tout se passerait bien. Nous étions après tout dans la même galère, le même désarroi… le même isolement. Son second sourire me confirmait qu’elle partageait ce sentiment et cette certitude. Nous nous serrerons les coudes les mois à venir. Pour ne pas être impolie, je détournai mon regard pour le poser de nouveau sur les deux autres voltigeuses. Les chats s’occupaient de finir l’accueil de Kenza en se frottant autour de ses jambes. Les bavardages mondains avent repris, me laissant dans mon monde.

– « Tu as bien fait de nous attendre. Et puis ce sera plus simple pour elles de commencer ensemble, surtout si elles travaillent en équipe à l’avenir », finit Megan. « Avez- vous réussi à en apprendre un peu plus sur leurs lueurs ? »
– « Non, nous avons cherché dans les archives et les écrits anciens. Mais rien à ce sujet. Gwen a peut-être une piste avec nos contacts hellénistiques, mais rien n’est moins sûr. Le Vatican a fait une descente chez nos bookmen il y a quelques siècles de cela. »
Cette assertion agaça la sage Belen.
– « Quelle bande d’emmerdeurs ! Pourquoi ont-ils besoin de piller l’histoire des autres ? Aucun respect pour les sociétés ancestrales ! »
– « Mais c’est quoi cette piste ? » Megan restait imperturbable, concentrée sur cette nouvelle information concernant notre nature.
– « Des textes font référence aux « Douze Immaculés ». Ce n’est peut-être rien, mais c’est la seule chose qui se rapporte à une lueur blanche dans notre histoire », intervint la voltigeuse. « De plus, nous ne savons même pas qui sont ces Douze Immaculés. Mais aucune piste n’est négligeable dans notre cas. »
– « Tu as raison, Gwen. Si tu as besoin d’aide, dis-le-nous. Kayla se fera un plaisir de sécher les cours de français et d’hacking informatique. »
La frimousse espiègle de Kayla rayonnait à présent. Je continuai de détailler la dénommée Gwen. Mes yeux étaient irrésistiblement attirés par le logo présent sur sa tenue. Cette lame traversant un croissant de lune… je le voyais désormais partout. Je n’avais pas encore remarqué que l’ensemble des tenues, des bâtiments et décors qui m’entouraient étaient tagués de ce sigle. Telle une gamine dans un parc d’attraction, je découvrais enfin l’intérieur de notre maison. J’étais ébahie par le luxe et le modernisme de cette dernière. Mon étonnement devait se lire sur mon visage, car Kayla se sentit obligée de me rassurer.
– « Ouais, je sais, c’est classe… Tu ne croyais tout de même pas que tu allais dormir sous une tente », dit-elle dans un rire.
L’entrée, dans laquelle nous nous trouvions, s’ouvrait vers un large salon de cuir chocolat, se mariant avec la couleur beige des murs. Tout était très sobre. Quelques vases de cristal mettaiient en valeur l’écran plasma gigantesque qui trônait au-dessus d’une cheminée, commandée à distance. Un des murs de la pièce était entièrement en baie vitrée pour apporter plus de clarté à cette dernière. Sur la droite, se tenait un escalier qui menait sans doute à nos chambres. Sur la gauche se tenait notre cuisine suréquipée. Tout semblait neuf, sortis tout droit du magasin. L’ilot central en béton ciré tranchait sur le magnifique parquet de la pièce. Ustensiles et petit électroménager semblaient sortir tout droit d’une page de magazine. Je continuais de détailler chaque élément de mon nouveau chez moi… Tout était frappé du fameux emblème. Comme dans les hôtels de luxe, ne pus-je m’empêcher de penser.
– « Vous avez découvert de nouvelles lueurs dans leur genre ? », s’enquit Kayla, revenue parmi le petit groupe. Elle ne s’embarrassait pas de la bienséance.
– « Non », dit Alexis, habituée à son franc-parler. « Mais de nouvelles appelées s’éveillent. »
– « On en sait plus à ce sujet ? », demanda Megan.
– « Oui », dit la deuxième voltigeuse. « Nous serons occupées les semaines suivantes. De jeunes appelées arrivent en renfort pour grossir les rangs, d’autres pour remplacer les walkyries trop âgées ou qui risquent de ne pas tenir le coup lors des combats. Je n’ai rien vu de précis encore, mais clairement un affrontement important se prépare. Plusieurs d’entre nous risquent de tomber si nous ne nous préparons pas. »

Sentant son stress, Gwen passa son bras autour des épaules de la deuxième voltigeuse pour lui remonter le moral.
– « Tu ne peux pas tout savoir. Les informations que tu nous donnes sont déjà suffisantes. On ne t’en demande pas plus. Personne ici ne t’en tiendra rigueur. »

– « Pour nos deux recrues, savons-nous qui elles vont remplacer ? », s’enquit Megan.

– « En attendant d’en savoir un peu plus, elles resteront avec Gwen et Elena. Nous nous chargerons de leur entraînement. Pendant ce temps, je continuerai de vous solliciter pour aller chercher de nouvelles appelées. »

Alexis ne semblait plus aussi sereine en répondant à Megan. Sa tentative pour rester évasive pouvait passer inaperçue si je n’avais pas senti sa gêne. Je n’étais pas la seule bizarrement. Kayla semblait l’avoir remarqué. Livide, elle quittait la pièce. Elle avait sûrement compris ce qui se cachait derrière ces quelques mots. Elle avait encore un train d’avance. D’abord vexée d’être toujours à la traîne, je me calmais en voyant que je n’étais pas la seule. Si tout le monde avait assisté au départ de Kayla, rares sont celles qui avaient noté l’échange furtif de regards entre Gwen et Elena, ainsi que le regard fixé dans le vide d’Alexis.

– « Nous allons devoir accélérer l’entraînement des jeunes recrues. Nous aurons besoin de votre aide », reprit Gwen. « Il faudra préparer ces appelées, car vraisemblablement, beaucoup d’entre elles risquent d’avoir leur révélation lors du combat, au fur et à mesure que des amazones tomberont dans la lutte. Il leur faudra se défendre pour arriver à tenir jusqu’aux premières lignes. »

– « Compte sur nous », assura Megan. « Sait-on qui sont les clans à l’initiative de cette bataille ainsi le nombre de clans au total qui seront impliqués ? »
– « Non », dit sobrement Elena.
– « D’autres clans savent pour ce combat ? Je veux dire… est-ce que les autres pythies ont accès à cette info ? », poursuivit Megan.

– « Je ne sais pas ».
Elena semblait s’en vouloir. Kayla choisit ce moment pour revenir parmi nous. Toujours troublée, elle faisait néanmoins acte de présence pour donner le change.
– « Nous avons des nouvelles du clan des protecteurs du Nord », reprit Alexis, comme pour en terminer avec ce rapport.

– « Je ne sais pas ».

– « D’Amérique du Nord ? Mais il n’y en a plus », se surprit Belen.

– « Non, d’Europe du Nord. Excuse-moi. J’ai manqué de précision. »

– « Oui, tu nous en avais parlé, Alexis », coupa Megan.

– « Non. Nous avons reçu des nouvelles plus fraîches, il y a deux heures… Des nouvelles d’Aaron. »
– « Et ? », s’inquiéta Kayla.
– « Et bien, nous venons d’apprendre un fait sur ce clan. Ils sont également sujets au phénomène de cristallisation, même s’ils l’appellent autrement. »

– « C’est fâcheux pour eux quand on connait la complexité de ces situations. Mais en quoi cela nous concerne pour le moment ? », demandait Belen.
– « Aaron est touché », précisa Alexis.
– « Mais on l’a vu il y a quelques jours à peine et il semblait en pleine possession de ses moyens », s’étonna Megan.

– « Oui… ses frères ne comprennent pas car il conserve sa force et ses capacités, ce qui n’est pas censé se passer de la sorte. Mais il a bel et bien été cristallisé », intervint Elena. « Je l’ai vu. »

– « Mais comment tu as réussi à le voir ? Il ne fait pas parti de notre clan et ne représente pas une menace ! Il ne devrait pas être dans ton radar, du moins pas pour ce phénomène. Tu ne devrais pas le voir », s’inquiéta Kayla.
– « Il a été cristallisé lors de votre dernière mission. Au vu des évènements à venir et compte tenu de sa mutation imparfaite, Alex a réussi à les convaincre, lui et ses frères, de patienter … ce qui arrange ces derniers car ils se préparent également pour les combats à venir. »

– « Mais ce n’est pas possible », hurla Kayla qui se moquait de son volume sonore. Sa colère exultait à présent. Elle ne cherchait pas à se calmer. « Tout va trop vite, beaucoup trop vite. Ils ne peuvent pas toutes nous les prendre ! ».
La porte claqua. Callie était déjà sur les talons de Kayla pour la calmer.

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L’Amazone – Roman Fantasy – Faits et fiction

Thésée et les Amazones

De nombreuses versions de ce mythe existent : est-ce que Thésée a capturé Antiopé, reine des Amazones? Est-ce que cette dernière a trahi une cité pour les beaux yeux de ce guerrier? ou est-ce une rencontre fortuite lors d’un périple plus grand qui a amené Thésée et ses guerriers à accoster près de la cité des Amazones? Nous ne saurons jamais vraiment puisque chaque version a pour but d’expliquer la création d’une ville d’alors, la naissance d’un  nouveau culte ou encore un épisode marquant du patriarcat prenant le dessus sur l’ancienne matriarcale. Là où ces versions se rejoignent est le conflit pendant lequel Antiopé se rallie à Thésée, son amant pour combattre.

Orithyie, sœur d’Antiopé, n’apprécia guère le fait de voir sa sœur prendre la mer avec le guerrier et sa troupe. Elle s’allia aux Scythes, puis avec son armée d’Amazones, se rendit à Athènes où elle installa son camp et envahit la Laconie pour barrer la route à d’éventuels renforts que pourrait demander Thésée. Au bout de quatre mois de durs combats, une trêve fut proposée. Les Amazones l’acceptèrent. Il est dit également qu’Antiopé, folle d’amour, fit le choix de combattre contre ses sœurs, aux côtés de son amant. Elle mourut sur le champ de bataille. Thésée vengea son assassin qui était une Amazone. Orithyie, horrifiée de perdre sa sœur et reine, se laissa mourir de chagrin. Une partie des Amazones se sauvèrent en Scythie où elles fondèrent une nouvelle faction de leur “race”. D’autres, blessées au combat, furent envoyées à Chalcis pour y être soignées.

A l’endroit où les Amazones furent interceptées dans le combat, des autels furent élevés avec des statues de bois aux effigies d’Artémis et Apollon.

Une autre version de l’histoire fait survivre Antiopé, reine des Amazones, pour en faire une femme jalouse que Thésée supprime pour épouser la soeur d’Ariane, Phèdre. Après lui avoir pourtant donné un enfant, Hippolyte, elle n’obtint jamais le statut de femme officielle de Thésée. Lorsqu’il épousa Phèdre, Antiopé et son armée d’Amazones surgirent et menacèrent de supprimer les invités. Les soldats de Thésée intervinrent et tuèrent les assaillants.

L’histoire ne s’arrête pas ici. Une fois Phèdre épousée, Thésée envoya son fils bâtard dans une autre contrée pour se faire adopter par Pitthée. Ce dernier fit d’Hippolyte son héritier du trône, ce qui arrangeait tout le monde car Hippolyte n’avait de ce fait plus aucune raison de disputer le trône de Thésée à ses deux demis-frères (Acamas et Démophon), fils de Thésée et Phèdre. Hippolyte avait hérité de mère sa dévotion totale au culte d’Artémis et ce fut en toute logique qu’il érigea un temple en son honneur à Trézène. Aphrodite, outrée de cette insulte ou cette préférence pour Artémis, se vengea en faisant tomber Phèdre follement amour de son beau fils. Elle profita d’un voyage de son mari pour rejoindre son beau fils, ériger un temps un Trézène en l’honneur d’Aphrodite (visiblement, personne ne s’est offusqué de voir une reine d’une contrée voisine créer un temple pour une divinité de son choix alors qu’elle n’était qu’invitée…). Depuis ce temple, elle observait le jeune Hippolyte faire ses séances quotidiennes de sport et lutte. Perdant l’appétit et dépérissant à vue d’oeil, elle se laissa convaincre par sa nourrice d’avouer ses sentiments à Hippolyte dans une lettre. Persuadée que les sentiments étaient partagés, elle fut choquée d’apprendre que cette confession n’éveilla que dégoût chez le jeune homme. Il se rendit chez elle pour mettre fin à ce manège, et se sentant bafouée, Phèdre s’arracha sa robe en sortant de sa chambre telle une furie, en criant au viol. Averti par courrier, Thésée crut sa femme et bannit son fils. Il demanda à Poséidon d’exaucer son dernier voeu en lançant une bête sauvage sur le chemin de retour d’Hippolyte pour Trézène. Pour la faire courte, Hippolyte essaya d’esquiver l’animal, eut un accident de char et y perdit la vie. Phèdre, en l’apprenant, mit fin à ses jours (bon, on ne va pas la pleurer non plus). Artémis tente de récupérer l’âme d’Hippolyte dans le Tartare et ne pouvant le faire, s’assure que son peuple lui rend les honneurs divins.


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