Ce que nous sommes – L’AMAZONE

Illustration chapitre 8 de l'Amazone - Ce que nous sommes - illustration de Chloé Rogez

Chapitre 8 – L’Amazone – Tome 1

L’autre voltigeuse (L’Amazone, Chapitre 8)

Pour calmer les esprits et nous changer les idées, Alexis m’invita à m’installer dans mes quartiers. Avant de quitter l’endroit, Alexis se retourna vers Kenza et moi.
– « Pour fêter votre arrivée ainsi que celle d’autres nouvelles recrues, nous ferons un repas en votre honneur. Vous êtes attendues vers vingt heures, à ce que nous appelons simplement la cantine. Les filles viendront vous chercher pour vous y mener. Ensuite, je vous apprendrai tout ce que vous devez savoir sur notre origine et notre clan. »
Enfin des réponses. J’acquiesçai avec vigueur à cette invitation en ne quittant pas Alexis des yeux. Bizarrement, je ne semblai pas la seule sur qui Alexis exerçait inconsciemment cette attraction. Si Kenza la fixait aussi hypnotisée et ébahie que je l’étais, Gwen et Elena la suivaient instinctivement du regard, sans expression de béatitude cette fois. Sûrement la force de l’habitude.

Sur ce, toutes se retirèrent, me laissant seule avec Kenza et mes chats. D’abord gênée, je décidai d’entamer la conversation dans « notre » grande maison vide.

–  « Salut », lançai-je avec un sourire mal assuré.

–  « Salut ».

–  « Je m’appelle Elise », accompagnant cette phrase d’une main tendue, que Kenza me serra néanmoins avec plus de chaleur que je ne l’aurai pensé.

–  « Je sais. » Son sourire étant franc et son visage était presque soulagé de ce premier échange. Quelque chose me chiffonna tout de fois. « Et moi, Kenza. » A sa deuxième tirade, je réalisai qu’elle me parlait en français.

–  « D’où viens-tu ? », poursuivis-je dans ma langue natale.

–  « D’Algérie. »

–  « Tu es arrivée depuis longtemps ? »

–  « Quelques jours seulement. Je savais que tu devais arriver sous peu mais le temps me paraissait un peu long. Même si elle est très jolie, je n’aurais pas aimé rester seule dans cette maison », dit-elle dans un rire nerveux.

–  « J’espère que tu aimes la compagnie car j’ai ramené mes chats. Tu n’es pas allergique au moins ? »

–  « Non, rassure-toi. J’aime beaucoup les chats. Je me doutais que les tiens seraient calmes. Si cela ne t’ennuie pas, ils me tiendront également compagnie. »
Malgré les efforts de chacune, cet échange encore sonnait encore un peu faux, un peu forcé pour le moment. Mais je gardais cette même impression que notre bonne entente ou notre amitié, peut-être, n’était qu’une question de jours à ce stade.

–  « Tu n’as pas sympathisé avec d’autres walkyries ? », lui demandai-je poliment pour faire durer notre échange. Une fois ce dernier terminé, je m’imaginais devoir m’éclipser gauchement pour me retirer dans ma nouvelle chambre, n’ayant plus grand-chose à dire.

–  « A part celles qui sont venues me chercher, Alexis et toi… euh non », dit-elle timidement. « Peut-être attendent-elles que nous soyons officiellement présentées ensemble au Conseil pour commencer à nous parler. »

J’acquiesçai, quoique triste pour elle et la solitude qu’elle avait dû ressentir. Elle me proposa de m’aider à monter mes bagages et préparer les litières et gamelles pour les chats. Le moment de gêne entre les deux nouvelles coloc’ qui ne savent plus quoi se dire pour se séparer sans froisser l’autre n’aurait pas lieu. Touchée par son geste, je me promis de lui préparer un dîner un soir prochain pour la remercier de son accueil.

J’ouvrai le premier placard de la cuisine à la recherche de ce que je pourrais donner aux chats qui ne tarderaient pas à avoir faim. Dès l’ouverture du troisième, je trouvai tout un assortiment de nourriture pour chat. Je m’étonnai que le clan d’Alexis eût déjà pourvu notre maison de produits pour mes animaux de compagnie. Pleine de gratitude pour ce geste, je me promis de remercier Alexis. Alors que j’évoluais de nouveau dans les différentes pièces de la maison, je constatai qu’Alexis avait pensé cette maison dans les moindres détails. Tout ce dont je pouvais avoir besoin se trouvait ici. Des produits de beauté aux fringues, en passant par une foule de produits high-tech se trouvaient dans cette maison. Je ne cessais de m’ébahir, lorsque je reconnus sur quelques meubles de ma nouvelle chambre certains de mes effets personnels. Ainsi, elles avaient eu le temps de rapatrier mes affaires de mon ancien appartement. Elles avaient tenu parole. Elles n’avaient pu bien sûr rapatrier les meubles mais ce qui était essentiel à mes yeux était dans cette pièce. Quelques photos de soirée auxquelles je tenais, des bijoux fantaisie offerts par Damien, des souvenirs de Gab et Patrick… Je n’avais donc pas tout abandonné derrière moi.
Au détour d’un couloir qui longeait l’aile de la maison qui m’était attribuée, je tombais sur ma salle de bain où trainait mon peignoir de douche. Plus loin, je tombai sur une autre vaste pièce qui servait de chambre d’amis. Cette pièce pourra servir à accueillir Gab et Patrick. En revenant sur mes pas, à l’intersection des deux ailes de la maison, je pris le temps d’ouvrir la porte de ce qui était notre salle commune. Les chats commençaient déjà timidement leur excursion dans cette dernière. Devant mon air surpris en voyant le contenu de cette pièce, Kenza se sentit obligée de me préciser :

– « Phone room. »
Nous avions chacune notre bureau, ainsi que nos ordinateurs et lignes de téléphone protégées pour communiquer avec nos proches. Tout était neuf et semblait tout droit sortir d’un bureau de recherche. Pas assez pour éveiller les soupçons des visiteurs mais il s’agissait d’un matériel à coup sûr des plus performants. Près de mon téléphone se trouvait une feuille avec les extensions de codes pour appeler à l’étranger. Les numéros de Gab, Patrick, Damien et mes anciens collègues y étaient inscrits. Je ne savais comment elles les avaient obtenus, ayant jeté mon portable par la fenêtre du van, mais quasiment tous y étaient. Même le numéro de Damien à Singapour… Du moins, c’est ce que je compris en voyant le deuxième numéro de téléphone commencer par un indicatif différent à côté de son prénom. En évoquant ce nom, je me rappelai que Damien devait être mort d’inquiétude à l’heure qu’il était. Je ne l’avais toujours pas recontacté depuis son dernier message et ne m’ayant pas vu à l’aéroport pour lui dire au revoir, il devait m’en vouloir comme jamais il ne l’avait fait avant. Je profitai que Kenza s’était éclipsée pour appeler ma famille. Mon père et mon frère attendaient impatiemment ce coup de fil. Je n’avais que trop tarder selon eux. Je tentai de rester évasive sur l’endroit où je me trouvais, ignorant encore ce que j’étais en droit de communiquer. Pour les rassurer, je ne lésinais pas sur l’enthousiasme que ma nouvelle demeure m’inspirait. De ma nouvelle colloc’ (qui pour l’occasion devenait une collègue designer de jeux vidéo), à l’intégration des chats, rien ne leur était épargné. Je leur racontai déjà avec joie la chambre qui les attendait lors de leur première et prochaine visite dans trois mois. A m’entendre aussi joviale, ils me souhaitèrent même de bien m’intégrer pour ma première journée de travail et de réussir ma formation.
Ma « formation ». Les pauvres… s’ils savaient… Moi-même je ne savais à quoi m’attendre. Mais Gab se renseignait déjà sur la date à laquelle il pourrait venir me voir, le climat du coin, le prix des billets… Je devais presque l’arrêter. Mon enthousiasme quelque peu feint avait été plus communicatif que prévu. Je me devais de rester désormais sur mes gardes pour rester évasive au possible et ne pas me vendre sur des détails insignifiants.

Rassurés, ils raccrochèrent enfin, après m’avoir demandé de saluer Kayla de leur part et de m’avoir fait promettre de donner de mes nouvelles plus d’une fois par semaine. Je n’aurais pas cru que cela aurait été si facile. Même si la peine de ne plus les voir momentanément et la honte de leur avoir menti me faisaient encore souffrir, j’étais soulagée de les savoir à l’abri. D’ailleurs, à bien y réfléchir, je n’avais pas vraiment à me plaindre. Si on occultait le fait que je pouvais me faire tuer à tout moment par d’autres clans guerriers ou même par Ankara… j’habitais une maison sympa, décorée sobrement mais avec beaucoup de goût, en plein milieu du Grand Nord Canadien. J’étais peut-être entourée d’ours polaires inamicaux, que sais-je. Et puis j’étais entourée d’un climat environnemental hostile dans lequel je n’allais pas tarder à commencer mon entraînement de walkyrie. Je faisais fi de mon cynisme. Mieux valait rire de la situation tant elle était improbable. Au moins, il me restait encore mon humour. Et en toute honnêteté, je mesurai quand même la chance d’être aussi bien retombée sur mes pattes, après ces derniers évènements. Tel un chat. J’allais devoir utiliser cette habileté de félin pour convaincre mon meilleur ami que tout allait bien.

A peine composé le nouveau numéro de mon ancien compagnon de galère, celui-ci décrochait. Je ne m’étais même pas inquiéter du décalage horaire.
– « Allo ? Damien ? »
J’appréhendai de me tromper de numéro ou de tomber sur un autochtone qui ne comprendrait ni l’anglais ni le français.

– « Elise ? C’est toi ? »
– « Oui, bonjour Adam », dis-je en reconnaissant la voix de son compagnon.
« Comment vas-tu ? »
– « Très bien. Mais c’est plutôt à moi de te poser cette question. Damien et moi étions super inquiets. »
– « Il ne fallait pas. Un truc de fou m’est arrivé. J’ai décidé aussi de changer de vie sur un coup de tête. A l’annonce de votre départ soudain, j’ai suivi le mouvement. »
Mon ton se voulait enjoué. Je ne savais pas si Adam allait gober cette mascarade.
– « D’où nous appelles-tu ? Comment as-tu eu ce numéro ? ». Son ton suspect montrait qu’il n’était pas dupe.
– « Du Canada. » J’occultais volontairement la deuxième question.
– « Quoi ? Mais qu’est-ce que tu fais là-bas ? Tu n’as jamais parlé de ton envie de partir dans ce pays avant ! »
– « Rassure-toi, tout va bien. Ce n’est pas une de mes nombreuses lubies ni un coup de tête, même si tout s’est passé très vite. »
– « Tu vas nous raconter tout ça. Attends ! J’entends Damien qui approche. Je vais te le passer. Il sera content d’entendre ta voix, même si pour l’instant, il est furax que tu ne sois pas venue nous dire au revoir. »
– « Je me doute », murmurai-je pour moi-même.

Je patientai, pleine de remords pour les mensonges que j’allais sortir à mon ami et surtout pour l’avoir laissé penser que je me fichais de son départ. J’entendais Adam tenter de le raisonner et le convaincre de prendre le combiné.
– « … Elle attend… Elle est actuellement au Canada. Il lui est arrivé un truc de fou et elle veut te l’expliquer. Ne fais pas ta tête de mule. »

J’entendais la voix de Damien au loin.
– « Je m’en fous. Elle se débrouille. Je l’ai attendu à l’aéroport, jusqu’aux dernières minutes de l’embarquement. Elle n’a pas répondu aux messages. »
– « Ne réagis pas ainsi. C’est parce qu’elle compte pour toi que tu ne dois pas lui tourner le dos. »
– « Non ! ».
Je connaissais ce ton irrémédiable. Aussi, ne fus-je pas surprise quand Adam reprit le combiné.
– « Allô, Elise ? »
– « Oui »
– « Il est actuellement occupé ». Sa gêne transparaissait dans ses propos, il faisait décidément un bien piètre menteur. « Tu sais, on vient juste d’arriver. On est encore dans les cartons. »
– « Ne t’inquiète pas, j’ai compris. Je le connais et je comprends sa réaction. Sache en tout cas que je vous ai appelés dès que j’ai pu. Mon portable s’est coupé lors de mes échanges avec Damien car j’avais demandé à l’opérateur de couper mon abonnement au plus vite. » Mensonge pitoyable, j’aurais pu trouver mieux. « Et ensuite, le temps de déménager, de dire au revoir à Gab et Patrick, et de trouver un vol pour le Canada… Tout s’est fait très vite. Trop vite même. Je m’en suis voulu de ne pas être là pour vous dire au revoir et à quel point vous allez me manquer. »
– « Je sais, je comprends. Ne t’inquiète pas. Ça va s’arranger. »
– « Non, réellement, Adam. Tu ne sais pas à quel point vous allez vraiment me manquer. Vous étiez un pan énorme de mon ancienne vie et j’ai une peur bleue que vous ne soyez plus dans la nouvelle. Même toi. Je n’ai pas pu te le dire avant mais tu es quelqu’un de bien et je suis vraiment heureuse que Damien t’ait rencontré. »
– « C’est gentil, la miss. Laisse le se calmer. Il reviendra. Et en attendant, tu pourras m’appeler autant que tu voudras. Je serai content d’avoir de tes nouvelles… Sauf la nuit, car je dors ! »
Je riais, le cœur encore gros de la réaction de Damien.
– « Au fait, comment ça se passe avec tes points de suture ? »
– « Tout va bien. Je n’ai presque plus mal. Tout s’est refermé. »
Ce qui était vrai. J’en fus étonnée de ne pas y avoir prêté attention plus tôt. Kayla pourrait peut-être même retirer les résidus de fils.
– « Déjà ? Impressionnant ! Tu avais pas mal de point de suture en plus… »
– « Oui, mais à ma décharge, j’avais deux infirmiers de charme dès le premier soir. » Je déviais le sujet. La flatterie mène presque à tout.
J’avais atteint l’effet recherché. La conversation téléphonique se termina sur un ton plus détendu. Ne sachant pas si je pouvais leur communiquer mon numéro de téléphone, je lui promis de le rappeler très vite.
A peine raccroché, j’essuyai discrètement une larme et respirai profondément. Je regagnai ma nouvelle chambre où je commençai à défaire mon sac. L’ensemble de mes anciennes affaires se trouvaient déjà dans mes armoires. Au fur et à mesure que je faisais coulisser les portes de la penderie, je découvrais des montagnes de vêtements, tous neufs. Il y en avait pour toutes les occasions. Des robes de cocktail, des survêtements de marques, des vêtements de contention ou pour lutter contre les grands froids…Qui aurait besoin d’une telle garde-robe dans le Grand Nord Canadien ?

Le protocole (L’Amazone, Chapitre 8)

En touchant les étiquettes, je notai que tous les vêtements étaient achetés en trois tailles différentes. C’est à ce moment que Kenza frappa à ma porte déjà ouverte pour attirer mon attention.
– « Tu as l’air aussi intriguée que je l’ai été devant tous ces vêtements. »
Je ne m’étonnais pas de l’entendre me parler en français.
– « Sarah, l’amazone qui est venue me chercher, m’a expliqué la raison. Elles connaissent nos tailles et même nos goûts, ce n’est donc pas de l’approximatif. Il parait qu’on va se muscler par la suite. Elles ont donc prévu à l’avance cette évolution de taille. »
– « Bizarre. C’est juste étrange d’avoir une garde-robe en triple exemplaire. En plus, tout est si neuf. Il va falloir les remercier pour beaucoup de choses… »
Les chats regagnaient ma chambre après leur première exploration des lieux. Je m’adressais enfin à eux, comme j’avais l’habitude de le faire à l’appartement.
– « Ça va, vous deux ? L’endroit vous convient également ? »
Un des deux chats me répondit par un miaulement, ce qui fit rire Kenza.
– « Ils sont mignons ».
– « Oui. Tu verras, ils ne t’embêteront pas. Je m’inquiète juste du temps à l’extérieur pour eux. Pourvu qu’ils ne s’égarent jamais. Ils mourraient de froid. »
– « Rassure-toi. Ils ont beaucoup d’espace ici et d’instinct, ils n’iront pas dehors. Crois- moi. Et puis, Kayla – je crois, je ne suis pas sûre de son prénom – vient d’arriver et leurs a installé un arbre à chat géant près du salon pour qu’ils se dépensent. »
– « Ah ! C’est super gentil ! C’est du Kayla tout craché … mais attends, tu as dit « géant » ? »
– « Oui. Plus de deux mètres de hauteur, avec des cordes, un pont, des hamacs et un toboggan », confia-t-elle dans un rire, reflétant toute l’incrédulité de la situation.
Je soupirai. Tout était démesuré. Surtout avec Kayla.
L’autre chat semblait renifler quelque chose dans le bas de mon dressing. Il restait fixé devant, concentré, ignorant mes appels.
– « Il a découvert une de nos cachettes. Qu’il est malin, ce petit ! », dit Kayla d’une voix gaga en caressant la boule de poil.
Elle nous avait rejointes dans la chambre, sans que l’on s’en aperçoive.
– « Une cachette ? », répétai-je incrédule.
– « Oui. Vous en avez plusieurs disposées dans la maison en cas d’attaques. Ainsi que deux passages secrets qui vous permettent de rejoindre les souterrains qui mènent tous à notre salle de conseil. »
– « Quoi ? »
J’étais interloquée par cette révélation. Je ne pouvais voir ma tête mais je devinais sans surprise qu’elle devait être plus expressive que celle de Kenza qui restait figée, pensive. Mes sourcils devaient toucher la racine de mes cheveux. Des souterrains, des passages secrets … j’avais beau avoir été surprise ces derniers jours, je n’arrivais pas à me contenir devant ce genre d’information. Cela me rappelait presque violemment la réalité de ma nouvelle condition. Cela n’empêcha pas Kayla de continuer ses explications, tout en jouant avec le chat dans ses bras.

– « Oui, le maître mot dans notre clan est PRÉVENTION. Cela tuerait Alexis de perdre l’une d’entre nous pour une simple histoire d’armement. Elle préfère nous savoir suréquipée avec des solutions de repli stratégique. »
D’un geste, elle fit pivoter un des cadres du mur.

– « Un quart de tour sur la droite. Vous appuyez légèrement jusqu’à entendre un clic. Et pour finir, trois quarts de tour vers la gauche. »
Accompagnant ses paroles du geste, le mécanisme se déclencha. La barre de suspension de ma penderie, ainsi qu’une partie du fond de mon armoire s’abaissèrent pour s’ouvrir sur un renforcement éclairé au néon où se trouvaient deux poignards, une sorte de hache, trois dagues de tailles différentes, un gilet renforcé (cela devait sûrement être de kevlar. C’est ce qu’ils utilisent toujours dans les films) et tout au fond, un automatique.

– « Tu as exactement le même dispositif dans ta chambre, Kenza ».
Impressionnée mais attentive à cette découverte, Kenza acquiesçait tout en s’approchant pour découvrir plus en détail le contenu de cette planque.
– « Ceci », reprit Kayla en montrant le pistolet automatique, « est à utiliser en dernier recours. Au cas où votre ennemi ne se batte pas à la loyale. »
Nous déglutîmes devant cette possibilité.
– « Ça arrive souvent ce genre d’attaques ? »
– « Non, Elise », me rassurait Kayla. « C’est même très rare, mais on ne sait jamais. Les vitres de nos maisons sont à l’épreuve des balles. Vous avez également une cachette de ce type dans la cuisine, le sous-sol et le salon. Oh et il y aussi en dessous de chacun de vos lits, dissimulés sous votre sommier un sabre, une fauche et une massue.
– « Pour que personne ne nous coupe l’envie de dormir ? », tentai-je pour combler le blanc laissé par cette nouvelle tirade.
– « Ah, ah, très drôle », ironisa la géante. « C’est au cas où… on ne … »
– « Sait jamais », finit Kenza à sa place.
– « C’est ça. Maintenant, suivez-moi jusqu’à la phone room. »
– « Et la penderie ? On laisse ouvert à la vue de tous ? », m’enquis-je.
– « Sans détection de mouvement, le mécanisme se referme sous trente secondes. » J’avais l’impression d’halluciner. Arrivées dans la phone room, Kayla se dirigea d’office vers le mur du fond. Elle nous demanda de nous placer chacune devant des prises de courant lambda, disposées à hauteur de visage.
Intriguée, je constatai toutefois la symétrie de leur emplacement et le fait qu’aucun appareil électrique ne se trouvait bizarrement près de ces prises. Leur utilité pour le moment était donc nulle. Ce nouveau cheminement de pensée en moi me surprit. Peut-être était-ce enfin mon sens de l’observation qui s’éveillait.
Tout en se dirigeant vers le téléphone le plus proche, elle nous demanda d’appuyer légèrement sur ces derniers et de les faire coulisser sur la droite. Une lentille comme celle des webcams se trouvait à l’intérieur.
– « Patientez un moment, les filles. J’appelle le Centre », nous demanda Kayla. « Allô, Meredith ? C’est Kayla. Je suis chez Elise et Kenza, les nouvelles voltigeuses. J’étais en train de leur montrer les cachettes et je me suis dit que ce serait bien d’en registrer leur empreinte rétinienne par la même occasion. C’est possible ? … Ok, c’est sympa. » S’adressant désormais à nous, elle enchaîna.
– « Les filles, baissez-vous à hauteur du scanner et mettez votre oeil droit face à ce dernier sans cligner des paupières. » Nous obéîmes. « Allo, Meredith ? … Vas-y, c’est bon. Tu peux enregistrer. »

Une lumière bleue de faible intensité scruta mon oeil. En une demi-seconde, c’eut été fait. – « C’est bon ? Tu les as ? … Ok. Je fais un essai avec elles et te rappelle en cas de souci. »
Elle reposa le combiné.

– « C’est bon, les filles. Redressez-vous. Maintenant je vous montre. En cas d’attaque, vous fermez cette porte qui est blindée et vous actionnez le déverrouillage du passage secret en ouvrant le scanner. Une fois l’ouverture de la trappe, le scanner est en marche pendant dix secondes, le temps pour vous de positionner votre oeil droit sans cligner la paupière. Nous allons essayer. Refermez la trappe et ouvrez-la de nouveau. »

– « Attends, Kayla. Je porte de temps à autre des lentilles ou des lunettes. Ça marchera quand même ? », s’inquiéta Kenza.
La panique de rester un jour coincée la gagnait.
– « Oui. L’empreinte rétinienne reste la même. Et puis, d’ici peu, ta vue se rétablira. Tes sens vont se développer, voire se régénérer. C’est comme pour les blessures d’Elise. Tu as vu à quelle vitesse elle se rétablit ? »

– « Tu as été blessée ? »
– « Oui, c’est une longue histoire. Je te la raconterai un de ces soirs. Lorsqu’on se fera une soirée pizza-tv si ça te tente. »
– « Oui, ce sera parfait », me répondit-elle dans un sourire franc.
Visiblement, elle était rassurée de ne plus être seule. Comme moi, Elle devrait se chercher de nouveaux amis pour sa nouvelle vie.
– « On pourra s’inviter avec Belen ? », tenta Kayla.
– « Avec plaisir », sourit de nouveau Kenza.
– « Bon, on va juste tester ces ouvertures et ensuite, on se préparera pour la soirée de ce soir. Ça vous va ? »
Elle n’attendit pas vraiment que nous acquiesçâmes à sa suggestion.
– « Allez, mettez-vous en situation de combat. »
Kenza se précipita sur la porte de la phone room, qu’elle verrouilla.
– « Bien », affirma Kayla.
J’enclenchai mon scanner pendant ce temps. Mon empreinte relevée, nous entendîmes la porte s’ouvrir. Ou plutôt la trappe. Le bruit venait du placard coulissant encastré.
– « Allez-y, faites coulisser la porte. En temps normal, ce placard ne s’ouvre pas, du moins ce côté du placard. Une fois le scanner validé, le déverrouillage est enclenché et il devient coulissant. »
En regardant à l’intérieur, nous vîmes que ce dernier n’avait pas de fond et mener à une échelle murale, un peu comme pour les bouches d’égout des grandes villes. Kayla reprit ses explications.
– « En dessous de nous, se trouve un vrai labyrinthe. Suivez les lumières jaunes à l’intérieur et non les vertes. »
– « Pourquoi ? », osai-je.
– « Les gens pensent toujours à suivre la signalisation verte en général. C’est pour dérouter les intrus. Les autres voies sont piégées ou sans issue. Nous devons procéder ainsi car ces labyrinthes mènent à notre vrai QG qui est sous-terrain. Ce QG contient nos système informatique, d’armement et de surveillance. Et tout simplement, il est relié aux maisons de chacune de nos sœurs. »
Elle nous fit ressortir en nous promettant de nous faire visiter ceci bientôt.

– « Au fait, la dernière amazone à entrer par ce passage doit verrouiller la porte. Pour ceci, vous appuyez sur le bouton rouge à l’intérieur du placard et vous refaites scanner votre rétine. Si vous venez du sous-terrain et que vous devez regagner vos appartements, vous appuyez sur le bouton lumineux jaune et vous refaites scanner votre rétine. »

Kenza murmurait ces dernières paroles comme pour s’en imprégner.
– « On fera des mises en situation et des entraînements. »
– « Une question, Kayla : si nous avons une panne d’électricité… »
Elle ne me laissa pas finir.
– « Impossible que ça se bloque. Nous basculons automatiquement sur un générateur de secours, qui lui-même redirige vers un autre générateur s’il vient à crasher. Nous en avons quatre comme ça. Consigne d’Alexis. »
– « Et si l’on pirate notre système ? », demanda Kenza.
– « Là également, c’est impossible. Pour craquer notre système, cela prendrait plus d’une journée de travail intensif pour les meilleurs hackers. A la moindre tentative, nous recevons une alerte. Notre système se verrouille et recrée automatiquement dans les quinze secondes qui suivent une série de nouveaux accès et mots de passe encodés. Ce serait un travail de titan de craquer ça. De plus, nous avons la plus douée des hackers parmi nous, ce qui facilite certaines missions… On est en sécurité. » Conclut-elle dans un sourire à notre égard.

–  « Notre empreinte rétinienne est-elle lisible partout dans la cité ? »

–  « Oui, dans n’importe quelle maison et bâtiment de ce clan. Vous ne serez jamais bloquées. » Kayla essayait vraiment de nous rassurer.
Satisfaites, nous étions tout de même pensives. Mon sourire s’évapora alors qu’une idée se formulait clairement dans mon esprit.
– « Ça veut dire que chaque walkyrie peut rentrer chez l’autre ! »
– « Chasse cette idée de ta tête, Elise. Ankara, ni aucune autre ne s’abaisserait à cela. Nous respectons le territoire de chacune et la cohésion du clan est la première valeur que nous partageons. »
Facile à dire quand on a la carrure pour se défendre contre un taureau.
– « Je ne l’aime pas non plus, elle me file les jetons », me murmura Kenza, avec un regard de connivence. « Au pire, on sera deux contre elle, mais c’est un faible lot de consolation : on se fera quand même massacrer. »
Je retrouvai mon sourire.
– « Bon, allons faire une sieste. Certaines vient de rentrer de voyage, nous avons besoin de récupérer un peu. Je reviens vous chercher dans deux heures. Ensuite, vous vous préparerez et nous partirons pour la petite fête. Elise, file au lit tout de suite. Tu dois être éreintée. Une sieste te fera du bien », dit Kayla.
Je ne cherchais pas à discuter ce point. Je me rendais compte de ma fatigue au moment où elle la mentionna. J’avais peu dormi ces derniers temps et surtout les larmes versées ces derniers jours m’avaient épuisée moralement. Maintenant que j’étais un peu plus rassurée sur mon avenir, le poids des inquiétudes semblait s’envoler pour laisser place à l’épuisement mental et physique. Il me fallait de plus digérer toutes ces nouvelles informations sur le clan, le camp et la maison.
– « Au fait, je vous ai laissé vos portables sur la table du salon. Nous les avons paramétrés en circonstances. Vos prénoms sont gravés dessus. Gardez-les toujours sur vous. Reposez-vous bien les filles. Je vous montrerai les autres cachettes et passages secrets à mon retour, si nous avons le temps. A tout à l’heure. »

Kayla s’en alla comme elle était venue : silencieuse mais avec vélocité.
– « Bon, bah je vais regagner ma chambre pour dormir un peu, ou regarder la télé si je ne trouve pas le sommeil », dit Kenza en français en tournant les talons vers l’aile de la maison qui lui était consacrée.
– « Oui, un peu de repos ne sera pas superflu. A plus tard, Kenza. Et si les chats t’embêtent, vire-les de ta chambre. »
– « Ils ne m’embêtent pas, je te l’ai déjà dit. Et puis, d’après les bruits que j’entends, ils sont en train de s’amuser dans l’arbre à chat. Ils vont nous snober pendant quelques jours. » Je souriais encore en la quittant sur le palier de l’étage. À peine posée sur mon lit, mes yeux se fermaient sans avoir le temps de repenser aux derniers échanges de la journée.

La cérémonie (L’Amazone, Chapitre 8)

Deux heures plus tard, Megan venait me réveiller. Blottie dans la fourrure de mes chats, profondément assoupis à mes côtés, je ne l’avais pas entendue rentrer.
– « Hé, la grenouille, tu m’entends ? », chuchotait-elle tout en me secouant doucement. « Il faut te préparer. Allez, debout… Oh, Elise ! »
Ces derniers mots marquaient clairement son impatience face à mon inertie. À l’évocation de mon prénom, j’ouvrai enfin l’oeil. Je devais avoir bien dormi, ma bouche était sèche et à coup sûr, j’avais dû baver sur mon oreiller. Qu’à cela ne tienne ! Je ne pensais pas que cette vision ait pu choquer Megan ou la perturber. À la vue de ce décor qui ne m’était pas encore familier, je remettais petit à petit mes idées en place pour me remémorer les derniers évènements. Je me redressai sur le lit.
– « Où est Kayla ? »
– « En bas. Elle apporte vos tenues, à Kenza et toi. »
– «Des tenues?»
– « Oui. Pour ce soir. »
– « Kenza est déjà réveillée ? »
J’avais vraiment beaucoup de mal à émerger.
– « Sarah s’en occupe. Tu feras sa connaissance par la même occasion. Tu verras, elle est sympa. Comme la plupart d’entre nous. Ça te fera oublier l’accueil d’Ankara, ma grenouille. »
Ah oui, je l’avais presque oubliée, celle-là. Mon humeur s’assombrit de nouveau. Je me levai pour rejoindre les autres.
– « Belen et Callie vont nous rejoindre ? »
– « Belen est en bas avec Kayla. Callie prépare la salle de ce soir. »
– « Et Alexis ? »
Je ne sais pas si l’inquiétude de ma voix me trahit ou si la simple évocation de son prénom lui mit la puce à l’oreille, mais le sourire de Megan semblait se satisfaire de ma préoccupation pour notre alpha.
– « Tout va bien. J’ai arrêté de lui jeter des couteaux. Elle se prépare aussi pour ce soir. Elle n’est pas la seule. »
Arrivée sur le pallier, je retrouvai Kenza, la mine aussi fatiguée que la mienne. Sans rien dire, nous nous échangions un sourire, les cheveux encore en pagaille et la trace des oreillers sur la joue. Les chats se roulaient entre ses jambes pour quémander une attention de sa part, ce à quoi elle répondit automatique par des caresses sur leur tête. Une grande sauvageonne à la crinière de jais se tenait à ses côtés. Ses yeux marrons presque noirs me souriaient.

– « Elise, je te présente Sarah. Sarah, voici notre dernière recrue, Elise. Rebaptisée : la Grenouille. »
Sarah souriait avec connivence. Derrière son aspect amical, la rigueur transpirait de chacun de ses membres. On la devinait maitresse de ses émotions, de ses gestes, de ses pensées et ceci à chaque instant. J’enviai sa capacité de contrôle sur elle-même. Elle ne risquait pas de se laisser déborder par les évènements. Elle donnait l’impression d’incarner le silence dans les montagnes. Une force insoupçonnable derrière une maîtrise totale. Je m’approchai pour la saluer.

– « Enchantée de faire ta connaissance. Tu peux également m’appeler autrement que La Grenouille si tu veux. Je n’en ai jamais mangé, » dis-je avec une moue comique. « Mais je me suis faite une raison maintenant, » repris-je d’un air résigné.
Les rires fusèrent, ce qui alerta Kayla et Belen.

– « Bon, les belles au bois dormant nous rejoignent ? Ou nous devons venir les chercher ? »
A la voix de Belen, les chats se précipitèrent au rez-de-chaussée, ce qui déclencha les roucoulements de Kayla.

– « On arrive », cria Megan. « Au fait, pour que tu ne sois pas surprise, Elise, sache que Sarah fait de la télékinésie. Donc si tu vois des objets bouger, c’est elle. Ne panique pas. »
– « Oh… ok. C’est cool. »
J’essayai de digérer cette information et de paraître à l’aise avant de rejoindre le petit groupe en bas. Je m’adressai à Sarah en essayant de paraître naturelle.

– « Ton don doit être pratique lors des combats. »
– « Oui, il l’est », me répondit-elle avec un franc sourire. « Mais ne sois pas intimidée. Je l’utilise rarement. Et puis, c’est plutôt à moi d’être intimidée par Kenza et toi. Vous êtes l’énigme du moment. »
Kenza croisa mon regard, quelque peu gênée par cette mise en avant. Alors que je demandai à Kenza si elle s’était bien reposée, je notais que Sarah et Megan s’entretenaient avec une mine réjouie.
– « … Une de ses premières questions dès son réveil était « où est Alexis ? » … », annonçait Megan, ravie.
– « C’est très bien. Il faut les préserver et les préparer, ces petites. Elles sont motivées et prometteuses. Il faudra les entraîner très rapidement. »
Déjà la voix porteuse de Kayla couvrait les bruits de fond.
– « Je ne me suis pas vraiment reposée. Et toi, comment ça va, Elise ? Tu as également bien dormi, Kenza ? »
Cette dernière retrouvait le sourire. Sa mise à l’écart de ces derniers jours n’avait pas dû être facile. Le moindre échange cordial avec ses nouvelles consœurs la faisait rayonner. Belen coupa ce babillage pour nous annoncer le programme.
– « Prenez le temps de vous rafraîchir. Pendant ce temps, nous allons nous habiller et revenir vous coiffer. »
– « Je peux leur montrer leurs armures et parures. Dis oui, s’il te plait Belen. Dis oui », suppliait Kayla comme une enfant en montrant de grosses malles que je voyais pour la première fois depuis mon arrivée. Jusqu’ici, j’avais focalisé mon attention sur les échanges de Sarah et Megan, ainsi que sur l’énorme arbre à chat. Ah, cette Kayla !
Des amazones avaient dû les apporter pendant notre sieste.
– « Tu ne changeras donc jamais, toi ! », lançait Sarah. « T’es incroyable… »

– « Vas-y », céda Belen, quelque peu lassée de ce genre de caprices récurrents. « Mais elles auraient fini par les voir dans une demi-heure. »
– « Oui, mais je veux voir leur tête maintenant. »
Elle s’élança vers deux malles de cuir, disposées à la verticale dans le salon. Elle ouvrait désormais au ralenti un des pendants de ces malles neuves. Au fur et à mesure qu’elle ouvrait complètement ces dernières, nous pouvions noter les détails de ces malles. Certaines étaient déjà gravées à notre nom. Elles étaient tapissées de velours bleu nuit. Les charnières semblaient être en or. Une fois totalement ouvertes, elles laissaient apparaître des cuirasses en argent, des coudières et autres protections pour les bras et les cuisses du même métal. Des parures de cérémonie et des armes scintillantes, accrochées aux portes de ces malles, s’ajoutaient à cet attirail. Certaines de ces pièces étaient gravées de caractères étranges et de dessins retraçant des scènes historiques ou de combat, mais la majeure partie de ces surfaces restaient vierges. Toutes nous fixaient pour analyser notre expression. Les yeux pétillants d’impatience de Kayla n’attendaient qu’une réaction de notre part.

– « C’est … beau. Très beau, Kayla. Mais c’est quoi tout ça ? »
Je ne voulais pas la froisser.
– « Mais enfin, les filles. Ce sont vos armures de cérémonie. Elles ont été faites pour vous. Elles sont uniques. Elles sortent de chez notre graveur il y a à peine une demi-heure. » Devant notre mutisme, elle enchaîna telle une commerciale. Pour un peu, on se serait cru au Juste Prix avec la pin-up qui présente les produits de la vitrine avec sa manucure parfaite.
– « Elles sont uniques, comme je vous l’ai dit. Elles ont été faites pour vous, selon vos mensurations. Mais rassurez-vous : on a pris de la marge pour quand vous vous musclerez un peu. Nous en avons chacune une, pour les cérémonies et les tournois. Elles sont les témoins de notre histoire et rappellent notre clan, votre grade et vos exploits. Tout est inscrit en caractères runiques. A chaque nouvel exploit de votre part, elle sera regravée en fonction. Prenez en soin. Vous avez ici les dagues et les scramasaxes qui l’accompagnent. Eux aussi sont gravés à votre nom. Et aussi les bijoux et parures qui vont avec votre rang de voltigeuses. »
Kayla avait mis tellement de cœur et d’ardeur dans ces dernières tirades. Nous restions silencieuses, tentant chacune de nous imaginer ce que donnerait ces pièces d’armures une fois montées et portées. Ce qui n’était pas une mince affaire tant les pièces étaient éparpillées. A cela, s’ajoutait chez moi l’idée que mon armure n’était pas près de revoir la couleur de l’atelier de gravure, tant je doutais de mon efficacité au combat. Sarah rompit le silence la première en partant d’un rire tonitruant, bientôt suivie de Belen et Megan. Kayla restait figée, espérant encore une effusion de joie de notre part. Elle nous toisa l’une après l’autre, le visage décomposé par l’incompréhension. Sa réaction déclencha un fou-rire incontrôlable chez les trois autres spectatrices. Kenza et moi n’en menions pas large.
– « Je crois que tu ne les as pas vraiment impressionnées, ma pauvre Kayla. Ta curiosité n’a pas été récompensée », hoqueta Megan entre deux éclats de rire.
– « Mais vous êtes incroyables ! », se fâcha Kayla avant de se retourner vers ses consœurs. « On leur offre une armure en argent et ces demoiselles s’en foutent… ». Soudain, son regard se figea sur la table. Elle blêmit.
– « Vous n’avez toujours pas pris vos portables sur vous ! », grognait-elle, irascible. Devant son accès de colère, je me précipitai sur ces derniers et d’un geste mal assuré, jetai celui de Kenza à sa propriétaire. Nous les dissimulions où nous pouvions dans nos tenues actuelles et nous serions instinctivement l’une contre l’autre, en attendant effrayées après notre châtiment pour avoir provoqué la colère de cette guerrière. Les ricanements derrière nous ne voulaient pas s’arrêter, ce qui fit exploser Kayla.
– « C’est bien la peine de leur fournir des armures, des armes et des téléphones pour les protéger si elles s’en moquent. Non mais je vous jure ! », râlait-elle en se dirigeant vers la porte d’entrée.

Elle continuait de pester et gesticuler dehors tous azimuts alors qu’elle n’avait pas encore enfiler sa doudoune. La porte d’entrée claqua. Nous l’entendions encore se plaindre. Je me sentais tellement mal de l’avoir mise dans cet état.
– « On ne voulait pas vous manquer de respect ou de reconnaissance », balbutiai-je en me tournant vers les autres walkyries. « Bien au contraire. Il y a tant de choses pour lesquelles nous voudrions vous remercions. C’est juste que cela fait tellement d’un coup… nous sommes abasourdies par tous ces moyens… »

– « Ne t’inquiète pas, Elise », intervint Megan. « C’est Kayla. Elle est juste un peu trop exaltée. Elle aura tout oublié avant d’arriver chez elle. Nous avons l’habitude. »
– « Mais si elle reste fâchée », craignait Kenza.
– « Rassurez-vous ! Dans une demi-heure, elle sera revenue pour vous habiller et elle aura vraiment tout oublier. Des revirements d’émotions comme celui-ci, vous en verrez tous les jours avec Kayla. C’est pour cela qu’on ne réagit plus. Allez à la douche et n’y pensez plus. On revient dans quelques minutes. »

Nous nous dirigeâmes à contrecœur vers nos salles de bain respectives. Une fois sous l’eau chaude, je me laissais aller à oublier ces derniers instants pour énumérer les questions que je souhaitais poser à Alexis. Ce n’est qu’une fois sous la douche que je me rendis compte de la tension que j’avais encore sur les épaules depuis que nous avions quitté la France. Je ne savais pas comment allait se dérouler la soirée mais si les questions à mes réponses n’arrivaient pas d’elles-mêmes, je me promettais d’aller les chercher. Je me demandais d’ailleurs qui assisterait à ce dîner. Je me lavais les dents quand j’entendis la porte d’entrée claquer. Kenza, qui était en train de se sécher les cheveux, sortir la tête de sa salle de bain.

– « Faut vraiment par la suite qu’on prenne l’habitude de fermer cette porte. »

Je baragouinai un « tout à fait d’accord » avec la brosse à dents dans la bouche et la mousse que je tentai d’empêcher de couler. Ce constat n’était pas un manque de confiance envers les filles du clan mais plus une logique d’apprentissage à la prudence, qui semblait être la clé de notre survie désormais. Déjà Megan s’engageait dans les escaliers.

– « Quand vous aurez fini dans la salle de bain, allez dans vos chambres. Je vous prépare sur votre lit les vêtements à mettre sous votre armure. »
– « Ok. Merci ! », nous nous écriâmes en chœur.
Quelques minutes plus tard, nous étions dans nos chambres respectives à tenter d’enfiler nos tenues. Je dis bien « tenter » car la combinaison couleur noir satin était bien difficile à arborer tant elle était moulante. Toutefois, elle tenait chaud, ce qui était un avantage indéniable dans cette partie du monde. En voulant rejoindre les autres dans le salon, je tombai sur Kenza.

– « Tu ressembles à un petit garçon en pyjama », lui lançai-je en plaisantant.
– « Tu peux parler : on ne voit même plus ta poitrine. Tu me fais penser à un vieux mime des rues. »
Nous descendions, à demi dépitées par notre apparence.
– « Ah, on fait moins les malignes, maintenant ! », lança Kayla un sourire ironique aux lèvres.

Je n’étais pas encore sûre qu’elle nous ait pardonnées. Je ne relevai donc pas. Megan nous conduisit à deux chaises de la salle à manger pour nous coiffer. Assise l’une en face de l’autre, nous pouvions contempler à loisir Kayla et Megan s’affairer sur nos cheveux. Leur dextérité ne faisait pas de doute. Déjà leurs doigts synchros, tressaient, manipulaient et tiraient nos cheveux pour les discipliner. Depuis que nous les avions rejointes, nous n’avions dit mot tant leur apparence était désormais impressionnante dans leur tenue de cérémonie. D’elles se dégageait une telle prestance qu’il était difficile de détacher nos regards contemplatifs. Nous détaillions leurs tenues. Elles portaient comme nous cette combinaison informe, mais sur elles, le rendu était tellement différent. Comme ajustées, elles épousaient leurs corps pour en faire ressortir une silhouette musclée parfaite. La juxtaposition de leurs armures de cérémonie jouait un tel contraste que le regard ne s’attardait plus vraiment sur le collant. Loin de l’image de l’armure moyenâgeuse, les leurs étaient racées.

Les courbures des pièces de métal qui les composaient étaient profilées, tant pour souligner la féminité de ces guerrières que pour leur faciliter l’amplitude de leurs gestes au combat. Chaque pièce, déliée des autres, couvrait une partie importante de leur corps : buste, cuisse, bras… Semblables à ceux dessinés sur nos armures, la multitude de caractères runiques, narrant leurs exploits respectifs, ajoutait un caractère noble à leur apparence. La pièce maîtresse de cette armure restait le buste d’argent. Moulé selon leurs courbes, il s’arrêtait aux hanches, où la ceinture « d’identité » prenait le relais. Sur le buste de Megan comme sur celui de Kayla, s’affichait le sigle lunaire du clan, ainsi que d’autres inscriptions et dessins témoignant de leurs combats. En dessous de leur ceinture de platine, tombait une jupe de cuir brut, finissant en larges lamelles découpées pour favoriser le mouvement de leurs jambes et leurs déplacements. Sur les cuisses, se fixaient des moulures d’argent recouvrant les trois quarts pour protéger les coups éventuels. Des jambières du même métal ornaient le mollet et l’avant du pied. Ce système de protection était également adopté pour les bras. A chaque articulation, l’armure était pourvue de protection souples, plus modulables et surtout plus discrètes, rappelant ainsi le tissu de la combinaison. Leurs armures étaient impeccables de propreté. J’en étais à essayer de reconnaître des similitudes entre les signes runiques quand Megan me tira un peu trop violemment les cheveux en arrière. S’excusant de son peu de douceur lors du tissage de mes cheveux, je tournai ma tête pour la rassurer et nota au passage ses autres bijoux et parures. Son collier attira le plus mon attention. Tel un col roulé, il moulait sa gorge pour descendre telle une cascade sur la naissance de ses épaules et de sa gorge. Ce même type de bijoux, à quelques variantes près, parait la gorge de Kayla. Une énorme chevalière trônait sur leur annulaire. Kenza avait également dû profiter de ce silence ambiant pour détailler leurs apparats car elle demanda :

– « Vos armures sont si nettes… vous ne combattez jamais avec ? »
– « Non, jamais », gronda de stupéfaction Kayla qui semblait se révulser à cette idée.

« Ces armures sortent rarement de nos placards et servent pour les cérémonies internes et les sorties officielles. »
Toutes deux continuaient de nous coiffer sans prêter plus d’attention à leurs gestes.

– « Pour les combats, autres que les entraînements bien sûr, nous avons des combinaisons en kevlar beaucoup moins voyantes et beaucoup plus pratiques pour les déplacements. Mais cela fait un moment que nous ne les avons pas sorties du placard pour autre chose que la quête d’appelées. Comme nous le disions à Elise, notre clan est assez pacifique. Bien. Relevez vos têtes désormais. Nous allons vous habiller », finit gaiement Kayla.

Je marchais derrière Megan qui m’avait fait signe de la suivre vers une des malles qui semblait m’être destinée.

– « Tiens-toi droite et écarte tes bras. »
Exécutant l’ordre, elle m’enfila le buste d’acier, qu’elle clipsa pour le maintenir. Celui-ci pesait son poids mais le sentiment de prestance qu’il me donnait m’aida à le supporter. Megan finissait de fixer les autres pièces de l’armure à renfort de sangles de cuir. Ce n’était pas aussi inconfortable que cela le laissait supposer.

– « Le cuir se fera au fur et à mesure. Il est encore neuf. L’avantage est qu’il rend tes protections évolutives. Seul le buste sera retravaillé si tu gagnes trop en muscle. »

Kayla préparait Kenza pendant ce temps. Même si l’humeur était à la rigolade et la découverte, une certaine électricité dans l’air était perceptible.

Une fois les armures fixées et les premiers bijoux parés sur nos poignets et cous, nous nous préparions à nous y rendre.

– « Respirez à fond, les filles. N’oubliez pas que c’est une cérémonie de bienvenue au clan. Personne ne vous mangera. »

Le ton de Megan se voulait rassurant mais l’épisode de mon altercation avec Ankara me revint en mémoire. A la vue de la mine renfermée de Kenza, la brave Kayla se sentait obligée d’en rajouter une couche.

– « C’est notre façon de vous présenter officiellement à toutes vos sœurs de combat. Nous mangerons et discuterons ensemble. Alexis vous remettra vos ceintures et chevalières. En groupe plus réduit, nous nous isolerons ensuite pendant la soirée pour répondre à vos questions. Nous vous sensibiliserons à l’histoire du clan. Bref, rien de trop guindé. »

Nous acquiesçâmes mécaniquement. L’inquiétude était bien réelle. La première impression que nous devrons dégager lors de cette cérémonie se devait d’être meilleure que celle donnée plus tôt au petit comité d’accueil. Après tout, nous devions compter les unes sur les autres lors des prochains combats. Autant leur donner envie de nous laisser une chance. Ou au moins le bénéfice du doute.

– « Tu en jettes, Kenza, avec ton armure. »
A l’évocation de ce compliment, ses yeux pétillèrent et me répondirent avec plus de sincérité qu’elle n’aurait pu le faire avec des mots. Elle souffla tout de même un petit « Pareil pour toi » en français.

– « Rapprochez-vous les filles. On va prendre une photo de vous avant la cérémonie. Ensuite, nous filerons au Conseil par les souterrains », lança Megan.

Mon cœur était au bord des lèvres. D’une minute à l’autre, Alexis allait nous appeler à la rejoindre devant le clan réuni en entier pour l’occasion. Quatre autres nouvelles recrues allaient être ordonnées lors de cette cérémonie, mais l’arrivée de deux nouvelles voltigeuses était assez exceptionnelle pour organiser un banquet et une célébration plus solennelle. Mes yeux, comme ceux de Kenza, ne quittait pas Alexis, malgré l’effervescence du moment et nos craintes profondes.

Lors de notre traversée des souterrains, mon esprit était déjà en ébullition. Persuadée qu’il s’agissait du trac, je fus étonnée de constater que ce n’était que l’approche d’Alexis qui me mettait dans cet état. Ces nouveaux sentiments, que je n’arrivais pas à identifier me troublaient. Ce n’était pas de l’amour, pas de l’amitié, pas de la fraternité ou même du désir. Je connaissais ces sentiments. Je commençais à remettre en question ce que je savais ou pensais savoir. Ça me paraissait être quelque chose de plus fort mais de tout aussi sain. Juste une attraction de l’esprit qui me faisait penser à une phrase simple : « la protéger, coûte que coûte ». A notre arrivée dans la salle annexe du Conseil, Alexis nous accueillit avec un large sourire. Le brouhaha de l’arrière de la salle était impressionnant.

–  « Voilà enfin mes Euménides. Comme vous êtes belles dans vos armures ! Vous n’imaginez pas à quel point cela me touche de vous voir embrasser notre condition et notre mode de vie. Encore merci », finissait-elle, émue aux larmes.

–  « C’est nous … qui te remercions », lança Kenza en guise de réponse.
Gwen et Elena, les deux voltigeuses qui l’accompagnaient lors de notre première rencontre parlaient avec quatre jeunes appelées. D’un gabarit plus impressionnant que les nôtres, elles avaient sûrement commencé leur développement et peut-être même leur entraînement. A l’unisson, elles se retournèrent pour nous sourire dans une synchronisation parfaite, même si involontaire. La même appréhension se lisait sur leurs visages. Kayla surgit pour nous masser énergiquement, à Kenza et moi, l’épaule et nous redonner confiance. La pression de sa main restait un peu forte pour ma frêle constitution. Je souriais intérieurement : de ma vie parisienne, je n’aurais jamais pensé me qualifier de frêle tant la lutte du taille 36 faisait rage à chaque été. Déjà Alexis s’éclipsait derrière une double porte pour annoncer à ses troupes le début des festivités et rappeler la raison de ces dernières. Quatre paires d’yeux l’avaient instinctivement suivi. Je ne vis même pas Megan et Kayla se diriger vers les autres recrues pour échanger des civilités. Depuis nos retrouvailles avec Alexis, mes yeux et mon esprit étaient reliés à elle. Je ne devais pas être la seule à penser : « rien ne doit l’atteindre ». Ce n’était pas une simple mission, juste une nouvelle vocation. Le concept m’aurait fait rire un mois plus tôt, mais désormais, tout me paraissait limpide et d’une normalité implacable. De l’autre côté de la porte, le silence se faisait.

– « Mes sœurs, mes filles, mes amies ! Vous êtes toutes réunies ce soir pour un grand évènement. »

Le silence était plein. Le respect de l’alpha flottait dans cette atmosphère solennelle. Elle n’avait pas besoin de forcer sur sa voix dans ce micro pour se faire entendre de ces centaines de guerrières. Du moins, c’est le nombre qu’avait laissé deviner l’écho et le bourdonnement des précédentes conversations derrière le mur.

– « Comme vous le savez, chaque recrue est un vrai don des Parques. Vous toutes m’avez fait l’honneur de vous battre à nos côtés … à mes côtés. Pour toutes celles que l’on a perdues, dans leurs actes de bravoure, et toutes celles qui acceptent, en connaissance de cause, de grossir nos rangs, je tiens à vous remercier. »

Le diadème d’émeraudes et d’argent qu’elle portait ce soir pour la cérémonie lui faisait manifestement justice.

– « Ce soir, nous accueillons six nouvelles appelées. Elles sont arrivées les semaines précédentes et peut-être les avez-vous déjà croisées. Mais laissez-moi vous présenter ce soir vos cinq nouvelles sœurs de combat. Elles seront à vos côtés. Elles compteront sur vous comme vous pourrez compter sur elles… Parmi elles, deux voltigeuses. »

Un hoquet de surprise se fit entendre au fond de la salle. Apparemment, notre venue tant attendue était encore secrète pour beaucoup d’entre elles. Gwen s’était approchée de nous. Devinant mes pensées, elle me chuchota : « Tant que nous ne savions pas si vous alliez nous rejoindre, nous ne voulions pas donner de faux espoirs ». J’acquiesçai en guise de compréhension.

– « Je vous prie d’accueillir et d’ouvrir grand vos bras à nos nouvelles sœurs : Maria, Suomi, Mei-Wen, Kenza, Elise et Tara. »

De mon poste d’observation, je vis Alexis revenir sur ses pas et nous faire signe de la rejoindre. L’image de toutes ces guerrières réunies et surtout leur nombre, nous retournèrent un peu l’estomac. En face de cette foule beaucoup plus imposante que je ne l’avais envisagée, je ne désirai plus qu’une chose : me faire toute petite. Un cri du cœur se souleva à notre entrée, en guise de bienvenue. La lueur des flambeaux et chandeliers éclairant cette immense salle donnait une aura d’ancestralité. L’entrée du Conseil vu quelques heures plus tôt ne laissait en rien présager la présence d’une telle salle pour la communauté. Ces murs de pierre blanches avaient dû être témoins de maintes cérémonies de ce genre. Peut-être même qu’ils avaient vu siéger de nombreuses alphas avant Alexis.

Ma némésis (L’Amazone, Chapitre 8)

L’accueil qui nous était fait nous déconcerta. Leurs sourires, leurs regards impatients qui nous détaillaient à la hâte et leurs cris nous montraient à quel point elles se réjouissaient de nous voir rejoindre leur cause. Alexis nous regardait avec une fierté maternelle dans le regard. Kenza, toujours dans la peur de déplaire, irradiait de joie désormais. Les applaudissements ne faiblissaient pas. Pour la première fois, nous avions l’impression d’avoir peut-être vraiment une place au sein de ce clan. Tout semblait parfait. Mais son sourire se fâna quand son regard se figea sur un visage. Je suivais des yeux la direction de ce dernier, alors que je savais délibérément où il allait me mener. Ankara nous dardait désormais toutes deux d’un regard haineux. Elle devait connaître la faiblesse de Kenza pour avoir côtoyé Alexis et les voltigeuses ces derniers jours. Elle en profitait allégrement. Son comportement était inacceptable. Alors que tout se passait si bien ce soir ! Nos cœurs étaient enfin en fête et elle se permettait de nous gâcher cela. Sa rage, que je ne parvenais toujours pas à comprendre ou justifier, faisait un faible écho à celle que je ressentis alors. Nourrie d’un sentiment d’injustice, la colère comprimait mes poumons. Je cherchai de l’air pour me calmer. En vain. Comment pouvait-elle… ? Ma vue commençait à se brouiller. Je me rapprochais instinctivement de Kenza, à qui je prenais la main pour la mettre légèrement en retrait. Un rictus de haine se dessinait sur mon visage, découvrant mes canines et affichant un sourire carnassier. Je n’avais plus peur. Elle ne m’impressionnait nullement en ce moment. Mon changement d’attitude, qui n’avait dû prendre que quelques secondes, n’était pas passé inaperçu. Déjà des visages se tournaient vers l’objet de ma fureur. Je ne voyais rien. Je me focalisais sur l’autre, qui ne semblait pas se dégonfler. Certaines de mes nouvelles sœurs devaient penser qu’il était temps que quelqu’un remette Ankara à sa place. D’autres devaient uniquement juger mes réflexes d’Euménide, partagées entre fierté et crainte d’un conflit interne. Je me concentrais toujours sur Ankara pour lui faire prendre conscience de la force de mon hostilité. Elle m’avait peut-être humiliée et intimidée lors de notre première rencontre, mais je ne la laisserai pas toucher à mon nouveau cercle d’amies, mes nouveaux repères. Ankara, ma grande, si mes yeux avaient des mitraillettes, tu ressemblerais à l’heure qu’il est à une passoire. Mes yeux ne discernaient plus les détails autour de moi. Le voile rougeâtre continuait de s’étendre pour me brouiller la vue. Les muscles de mes cuisses claquaient d’impatience et sursautaient. Mon corps n’attendait qu’un signal. De ma gorge, émanait un fébrile grognement qui gagnait lentement en assurance. Je vis un éclair de surprise dans le regard d’Ankara, qui se reprit aussitôt pour afficher de nouveau toute sa haine. Le changement d’attitude était minime mais perceptible pour quelqu’un qui la dévisageait. Avec son regard de faucon en chasse, elle venait de basculer sur son esprit de guerrière. Alexis s’en aperçut.

– « Cela suffit. On se reprend », cria-telle d’un ton sec et sans appel. « Le buffet est ouvert. Je vous invite à faire connaissance avant la cérémonie, » reprit-elle plus calmement.

Gwen me saisit par le bras d’une poigne d’acier et me tira en arrière, aidée de Kayla et Megan, m’arrachant ainsi à la guerre mentale à laquelle je me livrais avec Ankara. Belen calmait Kenza, que j’avais libérée. Elle affichait de nouveau un regard paniqué.

– « Elise. Concentre-toi et reprends-toi », m’ordonna Gwen. « Elise ? Regarde-moi maintenant. »

Elle me secouait. Revenue à moi, mes sens étaient encore perturbés. Mes mâchoires encore serrées, je parvins à dire :

– « Je ne peux pas… Je ne vois rien. »
– « Quoi ? », intervint Kayla en me saisissant la main.
– « Je ne vois rien, je vous dis. C’est tout rouge. »
– « … et trouble, je sais », dit Gwen. « Fais ce que je te dis. Respire et pense à quelque chose qui t’apaise. Pense à tes chats, à leur ronronnement calme… C’est ça… » Je m’exécutais sur son ton autoritaire. Mes poumons commençaient à se débloquer. Les premières bouffées d’air étaient vivifiantes et m’étouffaient presque.

– « Continue. Respire. Ta vue ne va pas tarder à revenir. »
– « C’est quoi ce délire de vue qui se brouille ? », questionna Megan, inquiète, tout en me caressant à son tour le dos de ma main avec son pouce.
– « Les voltigeuses sont des amazones à part entière. En cas de danger ou rage extrême, nos instincts prennent le dessus et nous pouvons aussi basculer dans la bestialité. Chez vous, les porteuses, ce sont vos muscles qui s’expriment. Chez nous, ce sont vraiment des instincts plus profonds qui réveillent notre vélocité et notre férocité. Nous n’avons plus besoin de notre vue, les autres sens prennent le dessus pendant le combat. »

– « C’est la première fois que ça t’arrive, Elise ? »
Je répondis à Kayla en balançant d’une façon encore crispée ma tête de droite à gauche. Même si ma vue était revenue, je restais figée sur Alexis qui entraînait Ankara à l’écart. Je l’avais sans doute déçue. J’avais gâché sa cérémonie. Je me sentais maintenant honteuse.

– « C’était quand la première fois ? », continuait Megan.

– « Quand tu as jeté le couteau sur Alexis. » Gwen, dans un sourire soucieux, enchaîna.

– « Eh bien, la nouvelle voltigeuse est talentueuse. Elle s’éveille bien vite. Nous ne perdrons pas plus de temps pour commencer ton entraînement. Première leçon pour demain : canaliser tes émotions. Je vais rejoindre Alexis. »

Me laissant avec Kayla, attristée de cette nouvelle, et Megan qui me menait au buffet pour me détendre, je ne cessai de culpabiliser.

–  « Tu sais que tu as réussi à lui faire peur ? », me taquinait Megan, pour me rendre le sourire.

–  « Elle les a toutes clouées, tu veux dire », pouffait Kayla.

–  « C’est surtout que je comptais sur vous pour me défendre, les filles. Vous me l’aviez promis. J’espérais que vous auriez continué de défendre Kenza une fois qu’elle m’aurait piétinée. Si elle s’était rebellée, je ne donne pas cher de ma peau à l’heure qu’il est… »

–  « Oh, crois-moi, tu serais étonnée de voir à quel point tu changes d’heure en heure », reprit sérieusement Megan. « La guerrière qui sommeille en toi s’entend et se sent maintenant à des kilomètres. Je te l’ai déjà dit. Ta fureur sous-jacente fait déjà peur. Tu as dû hériter de l’âme d’une guerrière très puissante. Ta progression étant ce qu’elle est, tu vas devenir très vite redoutable, ma grenouille ! »

Je n’eus pas le temps d’émettre de nouveaux doutes que des hordes de géantes s’amassaient autour de moi. « Bravo », « contente de te rencontrer », « oh la trouille que tu lui as mise », « elle le méritait depuis longtemps », « bravo », « il faudra que tu viennes t’entrainer avec nous », « nous vivons à deux rues de chez toi, il faudra qu’on dîne toutes ensemble un soir » … Je ne parvenais pas à en placer une et encore moins à identifier les visages qui allaient avec ces répliques. Je ne pouvais qu’hocher bêtement la tête face à leur exaltation évidente qui me frappait comme un syndrome d’hyperventilation. Je me contentais de sourire poliment, encore honteuse de ma conduite quelques minutes plus tôt. Mais déjà, je cherchais Kenza que je n’avais toujours pas revue. La voyant en retrait, je percevais sa tristesse, sa déception. Elle avait honte d’avoir été prise à défaut devant tout le monde. D’être passée pour le maillon faible alors qu’elle voulait tant donner une bonne image d’elle. Après être restée seule dans son coin pendant plusieurs jours, elle ne voulait plus être une paria. Je l’invitai d’un geste de la main à me rejoindre. Elle hésitait, la mine décomposée. Coincée dans une conversation avec des guerrières du clan, je ne saisis un verre sur la table du buffet à mes côtés et lui offris. Discrètement, je crochetais son bras pour l’amener vers nous et la mêler à la conversation en cours. L’attitude des autres était différente de ce à quoi elle s’attendait. Elles n’avaient pas prêté attention à la personne à l’origine de l’incident. Elles s’intéressaient vraiment à elle, à ses impressions depuis son arrivée et aux premières sensations qu’elle avait eues à son éveil. Nous profitions de ce babillage avec nos nouvelles consœurs pour socialiser et surtout oublier l’incident. Nous faisons de nouvelles rencontres, ce qui ne nous déplaisait pas. Puis, Maria, une des jeunes appelées, posa la question qui brûlait les lèvres de toutes dans l’assistance.

– « Qu’est-ce qu’il s’est passé avec Ankara pour que tu veuilles lui rentrer dedans alors que tu t’éveilles à peine ? »

Ne voulant pas mettre Kenza mal à l’aise et ne souhaitant pas aggraver mon cas en ajoutant de l’huile sur le feu, j’optai pour mon arme de défense préférée.

– « Elle a oublié de rabaisser la cuvette des toilettes. »
Une salve de rires résonna. Comme une bataille de vannes à laquelle elles assistaient, certaines rigolaient pendant que d’autres s’indignaient gentiment.

–  « Ah, enfin ! », m’interpela Kayla. « Ton sens de la répartie m’avait manqué. Je redoutais que tu l’aies laissé en France. Je commençais à m’inquiéter, ma grenouille. »

–  « Arrêtez avec ce … »
Je n’eus pas le temps de finir ma complainte. Alexis venait nous interrompre.

– « Elise, Kenza, Maria et les autres, suivez-moi. Nous allons nous réunir en petit comité pour vous enseigner l’histoire du clan, avant de procéder à la remise de vos ceintures ».

Ce que nous sommes (L’Amazone, Chapitre 8)

Sa voix me rappela l’incident. Confuse, je la suivais dans une arrière-salle avec les autres, pendant que le reste du clan festoyait. Au moment de rentrer, elle me barra le chemin de son bras et m’écarta pour laisser passer les autres. Kayla, Megan, Sarah et d’autres les suivaient et fermaient la marche.

Je m’attendais à me prendre un savon.
– « Elise, avant de rejoindre les autres, je voulais te reparler de l’incident de tout à l’heure. »

Je me sentais tellement mal. Et pourtant, alors que j’aurais dû lutter pour soutenir son regard sous le poids de la honte, son aura était telle que je ne pouvais détacher mon regard du sien.

– « Avant toute chose, saches que je ne t’en veux pas. Je sais que tu as voulu protéger Kenza d’Ankara et je ne sais pas pourquoi elle a développé un tel antagonisme envers vous. Elle n’a pas voulu me le dire mais a avoué l’avoir cherché ».

Cette révélation me choqua tout autant. Je m’attendais à plus de mesquinerie de la part d’Ankara. Alexis reprit.

– « J’ai également été témoin de l’accueil qu’elle t’a réservé… Écoute, tu es une fille intelligente, tu vas très vite comprendre ce que je vais te dire. Je ne peux pas cautionner ce genre de comportements entre mes filles. Vous devez toutes faire l’effort de vous entendre un minimum pour la cohésion du clan et surtout des troupes. Je ne peux pas me passer de toi comme je ne peux pas me passer d’Ankara. Aussi, je te demande de faire un effort pour passer au-delà de vos querelles, quand il s’agit du bien du groupe. Tout ceci ne serait pas arrivé si nous n’avions pas déjà commencé à te former. Je te présente des excuses au nom du clan. »

Ces derniers mots me clouèrent sur place. J’étais sidérée du retournement de la situation. Il m’était impensable d’imaginer que je recevais en ce moment des excuses de l’alpha alors que je me sentais responsable.

– « Depuis ton appel, ta force s’éveille tout comme tes émotions. Tu es instable et c’est cette instabilité qui peut se révéler un danger pour nous, pour tes proches mais surtout pour toi. Non maîtrisée, cette force te consumera. Et je ne me pardonnerais pas si cela t’arrivait. Notre mission est de t’aider, pas de t’exploiter. Dès demain, nous commencerons ta formation pour t’aider à te canaliser. J’espère que je pourrais compter sur toi pour m’aider à désamorcer votre situation avec Ankara. »

Elle m’avait demandé ceci comme un service mais l’aura de l’Alpha venait de faire son œuvre. L’ordre qui se cachait derrière cette demande vient me frapper de plein fouet et une force extérieure me fit hocher la tête de haut en bas. Je ne cherchais pas à lutter, frappée par cette révélation et la force de cet appel.

– « Comme je te le disais, je ne comprends pas ce différend. Il doit s’agir d’un malentendu car vous semblez avoir le même tempérament. Enfin, bref. J’espère que la réunion d’initiation que nous allons faire te fera oublier l’incident et que tu souhaiteras toujours te joindre à nous. »

Je lui souris en acquiesçant. J’aurais aimé lui dire que j’étais la personne qui s’en voulait le plus, mais quelque chose dans sa voix me faisait comprendre que toute réplique, aussi bien intentionnée soit-elle, serait de trop. Je respectais ce silence. C’était déjà beaucoup pour un échange que j’imaginais plus répréhensif. Nous rejoignîmes les autres.

En suivant Alexis dans la salle annexe de la réception, je fus frappée par la différence de style et de décoration entre les deux pièces. Beaucoup plus moderne que la salle du buffet, elle ne comportait ni pierre, ni mosaïque. Les murs, d’un joli taupe, revêtaient des peintures témoignant de la gloire de walkyries et de moments de la mythologie grecque. Des sculptures de pierre mettaient en valeur des personnages historiques, qui au premier regard, ne me disaient rien. Pourtant les insignes et symboles de taille infime, finement gravés sur les tuniques ou casques de ces personnages féminins me rappelaient ceux de ma propre armure et devaient de ce fait être porteur d’un message. Un magnifique tapis de couleur beige finissait de décorer le parquet parfaitement lustré et d’adoucir le ton de cette pièce qui ressemblait à une petite galerie d’art avec ces colonnes de verre protégeant des artéfacts de fer forgé.

Des clubs de velours ras étaient disposés autour d’un poêle moderne en acier qui descendait du plafond, sans aucune attache au sol. Une multitude d’épais coussins blancs jonchés sur le sol pour celles qui préféraient s’y installer. Les nouvelles appelées, les deux voltigeuses et d’autres amazones plus expérimentées étaient déjà installées. Sarah et Belen s’affairaient à alimenter le feu. Alexis prit place sur le siège central de la pièce, plus imposant. Elle retira momentanément sa tiare et se débarrassa d’ordres parures trop lourdes pour cette initiation. Megan et une autre guerrière nous apportaient des boissons en attendant que le feu ne redémarre. Des couvertures étaient à disposition, mais à peine tendions nous les mains pour les saisir qu’Elena claqua des mains. Les lumières se tamisèrent d’un coup et un feu s’alluma dans le renforcement des murs de la pièce, formant un cercle autour de nous.

Kayla et Kenza m’interpellèrent au loin d’un signe de la main. Elles m’avaient réservé une place à leurs côtés.

– « Ça va ? Tu ne t’es pas fait trop engueuler ? », s’enquit Kayla.
– « Non, c’est bon. Rassure-toi. »
– « Au fait, merci pour tout à l’heure », me lança discrètement Kenza en français.

Je lui répondais simplement d’un clin d’œil et d’un léger coup d’épaule amical. Alexis s’éclaircit la voix avant d’enchaîner :

– « Mes sœurs, nous nous sommes isolées pour vous enseigner au calme l’histoire de notre clan. Votre histoire. Cette histoire, vos sœurs la connaissent. Avant de vous donner vos ceintures, je voulais que vous sachiez à quoi vous vous engagiez avant de nous rejoindre. Les walkyries que vous voyez autour de vous seront vos entraineuses, vos alliées, et surtout vos sœurs de combat. Elles sont passées par les mêmes épreuves que vous et ont vu beaucoup de cruauté et d’injustice ces dernières années. Elles sauront vous épauler, se montrer compréhensives et vous guider. Et de la compréhension et de l’ouverture d’esprit, vous en aurez grandement besoin. Qu’importent vos origines, vos croyances ou votre vision de la vie. Oubliez tout ce que vous croyez savoir. »

Ses yeux se baladaient sur chacune d’entre nous, nous soumettant à son écoute.
– « A l’origine de notre race de guerrières, existaient un monde et une société différents de ce que nous connaissons depuis des siècles. La femme représentait alors l’autorité suprême en matière religieuse. Les lois du matriarcat et de la société matrilinéaire rythmaient la vie de tous. Les femmes dirigeaient le peuple, pourvoyaient à ses besoins et régentaient la vie politique. En ces temps immémoriaux, le symbole de la reine était la lune, et celui du roi, le soleil. Bien que le soleil soit plus brillant, la lune revêtait diverses facettes pour régénérer les ressources de la terre dans les plus grands secrets de l’Obscurité, d’où son importance et le respect qu’on lui accordait. Même si les textes varient quelque peu selon les régions du monde, tous en partie respectaient ce système. »

Nous écoutions avidement Alexis en essayant de se représenter ce système sociétaire et deviner où elle souhaitait en venir. Perdue dans son récit, elle prononçait chaque phrase avec solennité.

– « Vers le dixième siècle avant Jésus Christ, avec l’invasion des Doriens en Europe, un nouveau système patrilinéaire voulut s’imposer. Nourri du désir d’expansion des hommes et propulsé par la quête du pouvoir politique, ce nouveau règne trouvait des partisans, dont les Achéens. L’établissement de ce nouvel ordre se fit en plusieurs étapes. Dans un premier temps, les princesses des divers royaumes d’Europe devaient désormais abandonner leur trône pour épouser les princes et consolider les alliances. Alors que les rois étaient symboliquement sacrifiés chaque année pour que la reine prenne un nouvel époux, le forme aux secrets de l’Obscurité alors que l’ancien gagnait une place au conseil de sages oraculaires, ils étaient désormais élevés au rang de second de la reine pour acquérir une partie de son pouvoir.

Malgré cette évolution rapide, le patriarcat rencontrait encore une opposition religieuse. La plupart des royaumes, gouvernés par les femmes, étaient polythéistes en ce temps. Respectant les divinités primaires, représentatives du Cycle de la Nature, la religion orchestrait l’agriculture et tentait d’expliquer l’ordre naturel. Pour s’imposer aux foules de l’opposition, le patriarcat imposa ses dieux à la mythologie. Que ce soit la mythologie grecque, nordique ou autres, toutes reprennent cette évolution et cette passation de pouvoir. Les dieux repris dans ces mythes n’étaient pas éternels, contrairement à ce qu’ils souhaitaient laisser croire, et les noms attribués étaient davantage un titre, une fonction qu’un patronyme. Ceci facilita la tâche des détracteurs pour imposer leurs faits de guerre, et compliqua la tâche des historiens pour comprendre l’ordre des évènements. Ils attribuèrent un caractère d’omnipotence à ces divinités.
Le système olympien n’était alors pas encore structuré, tel que vous le connaissez, mes sœurs. La majorité des divinités étaient des femmes. Cet ordre obscur modifia l’histoire pour imposer le personnage de Zeus. Pour symboliser cette prise de pouvoir et rendre ainsi caduque notre système religieux, ils lui inventèrent l’épisode de la prise du trône des cieux des mains de son père. Puis, afin d’étendre l’importance de celui-ci, on dit de lui qu’il força son patriarche à recracher des frères et sœurs, qui allaient l’aider à former l’ordre olympien. Six femmes, six hommes, pour apaiser les premières tensions liées à cette transition. Puis ces partisans allèrent plus loin en transférant le savoir de nos générations de femmes prêtresses à un homme : ils marièrent historiquement Zeus à Métis, grande sorcière de son état et incarnation symbolique de la femme savante.
Dans la genèse de ce dernier, Zeus fut informé de la prophétie selon laquelle le fils né de cette union le détrônerait. Les partisans de ce nouvel ordre lui firent donc avaler Métis dans leurs écrits, puis donner naissance à Athéna. Ceci ne relevait pas de leur fantaisie d’écrivain, mais d’un dogme théologique astucieux et très bien mené. En avalant Métis, Zeus supprimait officiellement son culte et s’appropriait par la même occasion sa sagesse. Athéna, fille de Métis mais mise au monde par Zeus, pouvait dans leurs textes épargner les temples matriarcaux si les fidèles de Métis acceptaient la souveraineté absolue de Zeus.
Le système olympien fut donc reconnu de tous. C’était alors un compromis entre la conception hellénique/patriarcale et préhellénique/matriarcale. Une famille composée de six dieux et six déesses, commandée par les cosouverains Zeus et Héra. Le tout formant un conseil des Dieux. Équilibre parfait entre les deux systèmes, du mois sur le papier… À la suite d’une révolte du mouvement préhellénique, Héra fut assujettie dans les écrits à Zeus et Athéna se réclama tout à coup entièrement de son père. On sortit Hestia du conseil pour y asseoir Dionysos », dit-elle en montrant une peinture représentant cette divinité sur le mur du fond.
J’aurais bien été incapable de reconnaitre Dionysos si elle ne l’avait pas mentionné et montré en peinture. Cette scène de bacchanales où le vin coulait à flot entre les danseurs nus, pour agrémenter les chants et morceaux à la flûte joués par Pan (facilement reconnaissable par sa horde d’animaux domestiques et sauvages qui suivaient leur maître aux pieds de bouc), me disait quelque chose mais tant de peintures avaient tenté de retracer ces évènements mythologiques… j’aurais bien été incapable de retrouver le nom de l’artiste.

– « Les hommes reprenaient donc le pouvoir. D’autres épisodes de la mythologie grecque, repris également dans les mythologies anciennes voisines, confirment l’imprégnation du patriarcat : Bellérophon qui tue la chimère, Persée qui tranche la tête de la Méduse … ce n’est que la représentation de la prêtresse derrière un masque hideux, censé mettre en garde les profanes contre le danger de violer les mystères.

Pour éviter les rebellions, ils procédèrent dans les textes religieux à des unions fictives entre les deux modèles. Tous les mythes primitifs où les dieux séduisent des nymphes mettaient en image le mariage entre les chefs helléniques et les prêtresses locales … d’où la colère d’Héra dans les textes, farouchement opposée à ses unions. Une fois l’ordre religieux infiltré, il ne leur restait plus qu’à passer leurs stupides lois par ce dernier. On enleva par exemple le droit de vote aux femmes. On interdit aux hommes de porter le nom de leur mère. Je vois à vos yeux que vous ne mesurez pas encore l’impact pour notre espèce de cette perte de pouvoir et cette fin de quiétude entre tribus et royaumes. Aujourd’hui, nous sommes obligées de garder notre force sans pouvoir l’utiliser. Nous contenons cette énergie, ces dons sans pouvoir les exprimer. Notre ordre était à l’origine du monde, mais nous en avons été spoliées. Cette nouvelle religion établie allait être à l’origine du mode de vie actuel des amazones, walkyries et autres guerrières. »

Ces derniers mots, prononcés avec émotions, nous avaient plongées dans un silence quasi mystique. Nous n’avions pas compris la totalité de ce message, et pour être honnête, ce début d’explication ne répondait en rien à mes questions. Cela m’avait même davantage embrouillé l’esprit. Je ne percevais pas l’importance des noms cités et des pseudo évènements religieux. Je comprenais juste que l’ordre dans lequel j’avais atterrie datait d’un moment et que le potentiel de ce dernier ne plaisait pas à tout le monde.

Alexis reprenait un peu d’eau à la suite de cette longue tirade. Le silence était toujours de mise. Seules les anciennes profitaient encore des rafraichissements. Nous autres, jeunes recrues, attendions la suite, espérant fortement en apprendre plus sur notre sort, plus que sur l’Histoire. Percevant cette attente, elle reprit d’un ton plus profond.

– « Les femmes guerrières ont toujours existé, quel que soit le nom qu’elles portaient. Des textes retrouvés en Irlande, Guinée ou encore Grèce traitent de leur existence. De nombreuses religions relatent leurs exploits. Pour retracer leurs clans, les historiens reprirent les noms utilisés dans les différents textes religieux de la région en question, mais ce sont les mêmes guerrières qui se sont distinguées dans le temps. Dans toute l’Histoire, la femme a participé aux guerres. Accompagnant sur le champ de bataille, soignant les blessés… elles ne revenaient à leur rôle féminin qu’une fois la victoire obtenue. Sauf pour un groupe de femmes….

En ces temps anciens, une femme qui combattait était automatiquement identifiée comme une vierge, pour ne pas perturber l’image de la mère qui se consacre uniquement à ses enfants et son foyer. En réalité, amazones et walkyries étaient des prêtresses, guerrières de la Déesse de la Lune. Certains textes retrouvés dans le nord de l’Europe vont jusqu’à présenter les walkyries comme des êtres démoniaques. Elles porteraient en leur sein le gêne du mal, seraient sanguinaires et n’auraient de cesse que de répandre le carnage, d’où leur aspect incontrôlable. »

Cette dernière réplique se finit dans un sourire ironique, mêlé de tristesse. Je ne pouvais que repenser aux mises en garde de Kayla et Alexis sur le danger que je représentais si je ne pouvais me contrôler. Elle reprit en vivacité après ce léger passage à vide.

– « Si cela toutefois était vrai, ceci pourrait expliquer la passivité de certains clans comme le nôtre qui ne descend pas directement de ces guerrières. » Dans un sourire en coin, elle continua. « Nous ne vous demanderons pas de vous couper le sein droit pour améliorer votre habilité à tirer à l’arc. Aucun clan guerrier ne l’a requis, ce n’est qu’une idée montée de toutes pièces pour détourner les peuples du système matriarcal. »

Un soupir de soulagement s’échappa involontairement de Mei-Wen, ce qui déclencha une salve de rires et détendit l’atmosphère. Le mutisme imposé par le récit d’Alexis était inconfortable pour toutes.

– « Rassure-toi, Mei-Wen. Tu pourras garder tes attributs, » plaisanta Alexis. « Nous évitons d’ailleurs les armes des archers, qui sont celles des traitres qui veulent tuer sans prendre part au combat. Autres précisions qui pourront peut-être également vous rassurer : nous ne tuons pas nos enfants mâles. Vous en verrez plein dans la cité. Oh, et nous ne montons pas spécialement à cheval. Ce dernier était un animal sacré du temps de nos ancêtres. Depuis la nuit des temps, nous continuons de respecter ces règles en essayant de les faire cohabiter avec les contraintes et atouts de nos sociétés modernes.

La façon dont nos clans se régénèrent est quelque peu particulière et vous en avez fait l’expérience. Il s’agit de l’Appel ».
A l’évocation de ce dernier, le ton redevint grave. Chacune était à l’écoute de ce que ce nouveau chapitre de notre histoire pouvait lui apporter. Peut-être étions-nous intéressées car nous avions au moins vécu ce chapitre. Ou alors nous souhaitions en apprendre plus pour savoir ce qui nous attendait par la suite. Alexis se leva pour rejoindre Elena. Derrière elle, les deux mains sur ses épaules tout en nous faisant face, elle reprit son récit. Le regard dévoué d’Elena envers Alexis ne m’étonnait plus. Je fus surprise en revanche du regard maternel de cette dernière qui semblait beaucoup estimer sa voltigeuse. Mais devais-je encore m’en étonner ? Alexis n’avait-elle pas fait preuve d’énormément de largesses et bonté de cœur avec nous depuis notre arrivée ?

– « Nos pythies reçoivent des Oracles des informations sur l’endroit des appelées et nous allons les chercher avant qu’elles ne dévoilent malgré elles notre existence. Nous tenons à rester cachées car nos dons et notre force attireraient la convoitise d’autres clan de guerrières, d’entités mythiques parallèles et surtout de gouvernements actuels peu scrupuleux. Ceci nous permet d’agir dans l’ombre. Notre nature agace également certaines religions plus récentes que notre ordre. Nous ne sommes donc pas à l’abri d’attaques extérieures. Nous protégeons nos nouvelles sœurs de leur nature mais également de la curiosité malsaine des grands de ce monde. » Chaque mot était détaché des autres pour que nous comprenions toutes, anglophones de naissance ou pas, l’importance du secret de notre existence. « Est-ce que les âmes des guerrières ancêtres de notre clan doivent retourner à notre clan ?

Comment reconnaissons-nous les âmes de ces dernières pour les ramener au bercail ? La réponse est simple : nous ne les reconnaissons pas. Une âme de guerrière peut avoir servi pendant des siècles un clan plus sauvage et se réincarner dans une appelée recueillie chez nous. Certaines âmes attendent des siècles avant de se réincarner car elles attendent l’appelée qui saura au mieux composer avec leur talent. Le process de réincarnation est tellement complexe et violent que nous ne cherchons pas à forcer l’âme à révéler ses secrets et le pourquoi du choix de notre clan. Nous accueillons du mieux que nous pouvons notre appelée car c’est elle, le vaisseau, qui a le dernier mot concernant la destinée de l’âme durant cette vie. »

Savoir qu’une vieille entité avait partiellement pris possession de moi me déplaisait fortement. Je me sentais sale, presque malade. Un frisson parcourra ma colonne vertébrale.

– « Pourquoi sommes-nous moins sauvages que d’autres clans ? Et bien cela tient de l’histoire de notre lignée. Nous n’avons jamais prêté attention à l’appellation de notre clan : amazones, walkyries, atalantes… pour ma part, ce n’est qu’un qualificatif qui sert d’armoiries pour certaines lignées. Nous sommes toutes des guerrières, et comme je le disais, il n’est pas rare que les âmes guerrières voyagent d’un clan à l’autre si elles mettent trop de temps à trouver leur nouveau vaisseau. Certains clans se réclament de la lignée des filles de Mars et donc des amazones. D’autres se disent de la garde d’Odin. Les atalantes se distinguent par leur volonté de ne pas vivre avec une compagnie masculine pour honorer la mémoire de leur Ancêtre, Atalante, qui était une chasseuse, athlète et guerrière grecque hors pair qui fit partie de nombreuses croisades mais qui à l’origine se fit confisquer toutes ses récompenses en raison de son sexe. En ce qui nous concerne, nous descendons d’une famille achéenne prestigieuse mais maudite par les dieux : les Atrides. Cette famille, très active dans la mise en place du système patriarcal, s’est retrouvée mise au ban de la société par les « dieux » patriarcaux. La raison : la rébellion d’une des filles de cette famille. La première alpha de toutes : Iphigénie. Les Grecs ont essayé de broder une histoire pour moraliser ce comportement et faire rentrer d’éventuels nouveaux dissidents dans les rangs, mais le mal était fait. Notre lignée de guerrières avait vu le jour. A l’origine de ce chapitre de la mythologie grecque, la famille descendant de Tantale, fils de Zeus, étendait son pouvoir depuis Mycènes, où Atrée régnait en préparant ses deux fils à prendre le pouvoir. Agamemnon et Ménélas étaient deux frères, qui n’en pouvaient plus d’attendre leur heure et finirent par commettre l’irréparable en tuant leur père pour monter sur le trône. Les dieux les maudirent et les condamnèrent à l’exil. Près de Sparte, ils furent accueillis par le roi Tyndare qui leur donnait ses filles en mariage. Agamemnon épousa Clytemnestre et lui donna quatre enfants : Iphigénie, Chrysothémis, Electre et Oreste. Ménélas épousa, quant à lui, Hélène, dont la beauté lui avait valu en guise de prophétie à sa naissance qu’elle causerait la perte de Troie. Hélène partit un jour pour Pâris, le jeune fis du roi Troyen. Ménélas demanda de l’aide à son frère qui se fait appeler « le roi des rois grecs », tant sa puissance militaire et ses moyens financiers surpassaient les autres royaumes. Cette vanité, il la poussa jusqu’à contrarier Artémis en se vantant de surpasser son habilité à la chasse. La déesse, outrée, aurait empêché les vents de souffler et donc à la flotte d’Agamemnon d’embarquer pour se rendre sur le champ de bataille. S’étant vu réclamer un sacrifice pour faire cesser ce chantage, Agamemnon commit une nouvelle ignominie en proposant sa fille et en l’attachant en haut d’une falaise pour qu’elle serve de repas au monstre marin du coin. Clytemnestre ne s’en remit jamais.

La jeune Iphigénie était sacrifiée aux yeux du peuple et Agamemnon embarquait sans remords avec ses troupes. Il laissait son cousin Egisthe épauler sa femme et tenir les rênes du royaume. Pendant cette croisade, il se comporta extrêmement mal. Il accapara une belle esclave qui devait revenir à Achille, favori des dieux, pour le plaisir de l’humilier, puis enleva Cassandre, fille de Priam, roi Troyen, pour la ramener chez lui en guise de maitresse officielle. Clytemnestre, ayant pris pour amant Egisthe, se chargea de le tuer. Les enfants du couple n’eurent pas d’autres choix que de venger le meurtre de leur père en tuant leur mère, et se firent maudire à leur tour. Cette histoire tragique aurait pu finir sur cette note si Artémis, prise de pitié pour la pauvre Iphigénie, n’avait pas décidé de lui substituer une biche et de prendre la jeune enfant sous son aile pour lui enseigner l’art de la guerre et les secrets de la nuit. Iphigénie devint alors la maitresse des animaux sauvages, la pythie de Tauride et une guerrière puissante pour prendre sur les champs de bataille le surnom d’Hécate, déesse de la Lune. Symbole que vous retrouverez partout ici : du sigle du clan, à votre tenue. »

Tara se hasarda à poser une question. Si le début de la réunion était placé sous le signe des contes ancestraux, il devenait clair maintenant que nous avions besoin d’un réel échange pour nous rassurer et répondre à nos questions, encore trop nombreuses.

– « Je comprends le concept des âmes de guerrières en attente d’un vaisseau apte à les accueillir, mais pourquoi nos vraies sœurs, celles de sang, ne sont pas aussi des appelées ? Nous partageons le même ADN, et donc potentiellement la même capacité physique à recevoir cette âme. »

Sarah prit le relais d’Alexis.
– « Nous n’avons pas de « dynastie » d’amazones, du moins a priori. Les dons ne se transfèrent pas de mère en fille par le sang. Malgré les recherches faites ces derniers siècles sur les textes retrouvés, textes assez rares car éradiqués par le Vatican pour effacer les traces des religions ancestrales polythéistes. Nous ne savons pas pourquoi nous sommes appelées, pourquoi cet appel ne se fait que rarement avant dix-huit ans et pourquoi certaines d’entre nous mettent des années avant de ne former qu’une avec l’âme de leur guerrière. Toutefois, nous avons une petite idée. Nous pensons qu’à l’origine des premières amazones et walkyries, un certain nombre de jeunes femmes furent élues « potentielles » pour remplir une mission et ceci à travers le monde. Cette mission consisterait à faire perdurer l’ordre pré-hellénistique et intervenir lors des conflits qui pourraient perturber notre existence. Concernant leur âge, nous pensons que les guerrières choisissent la personne la plus à même de les ressembler pour supporter leur âme et leur don afin de perpétuer leur combat, mais les premiers traits de la personnalité ne se définissent vraiment qu’à l’aube de l’âge adulte. Toutes ces âmes de guerrières sont gardées sous le coude par les Oracles. Elles ne meurent jamais réellement et sont pour la plupart en sommeil dans des enveloppes corporelles à travers le monde. Lorsque les oracles décèlent ou plutôt choisissent la mort prochaine d’une guerrière, ils éveillent une âme dont les capacités sont similaires et correspondent aux besoins d’une mission spécifique qui lui sera confiée. L’âme de la première guerrière, une fois morte, se réincarnera dans diverses enveloppes au fil du temps et restera en sommeil en attendant le prochain appel.

C’est pour cela que nous envoyons aux quatre coins du monde nos équipes pour quérir ces lueurs… Ne sachant pas quelle épreuve nous attend, nous préférons mettre toutes les chances de notre côté, d’où les conflits de quêtes d’appelées entre clans. »
Son regard se tournait maintenant vers Alexis.

– « Je n’aurai pas mieux expliqué », la rassura-t-elle avant de retourner s’asseoir. « Je n’ajouterai qu’une chose pour que vous compreniez un point important de votre histoire personnelle. Nous ne savons pas quelle âme de guerrière sommeille en vous et nous ne savons pas si ce que racontent les légendes sur le côté sanguinaire des walkyries est vrai. Mais ce dont nous sommes sûres est que la plupart d’entre nous ont eu une vie antérieure riche et que nous avons sûrement servi un clan plus belliqueux que le nôtre. Nous sommes donc toutes sujettes à des pulsions bestiales, primitives ou que sais-je encore. Personne ne vous jugera car nous travaillons toutes pour nous discipliner et pour créer une cohésion de groupe. C’est ce qui fait de notre clan l’un des plus redoutables de toute l’Histoire car nous ne nous entretuons pas. Nous nous maîtrisons pour servir un dessein. Alors, si l’une d’entre vous a plus de mal que d’autres à calmer ces pulsions ou ressent des sensations vives sans pouvoir les dompter ou les apaiser : parlez. Ne restez pas dans votre coin. Nous avons toutes connu cela et nous pourrons vous aider. Nous sommes toutes là pour s’entraider. Nous ne sommes pas qu’un clan de guerrières, nous sommes aussi des sœurs de condition. Vous êtes mes sœurs, mes filles, mes alliées et mes pupilles. Chacune d’entre vous compte pour nous, non pas pour ce que vous apporterez au combat, mais parce que vous nous avez rejointes en connaissance de cause. Certaines ont dû dire au revoir à leur famille et amis et nous n’aurons pas la prétention de les remplacer dans votre cœur. Mais nous serons une cellule de soutien sur laquelle vous pourrez toujours compter. »

Sa voix résonnait encore. Elle n’était décidément pas le leader de ce clan pour rien. Une voix s’éleva cependant.

–  « Comment reconnaîtrons-nous les différents clans et savoir qui se réclament des walkyries ou des amazones ? »

–  « Vous ne pourrez malheureusement que vous fier à leur blason. Toute guerrière en porte un, comportant généralement la représentation de la lune ou d’un croissant lunaire, rappelant notre condition de prêtresses et maîtresses du monde depuis la nuit des temps. Ces blasons évolueront en fonction des histoires et ascendants de chaque clan. Vous pourrez retrouver des ours, des sangliers pour les atalantes ; des loups, des lances, des aurores boréales ou des scramasaxes pour celles qui se réclament des walkyries. Le mot d’ordre quant à ces rencontres est la prudence. Notre blason, que vous pourrez voir estampiller partout dans notre cité représente un couteau sacrificiel barré d’un croissant de lune supportant le soleil. Le couteau est le symbole de la vie d’Iphigénie, notre aïeule. Le croissant de lune est le symbole d’Artémis, mère de notre clan, tandis que le soleil est celui de son frère. Sur certaines représentations et certains uniformes, l’ombre d’un félin tapisse ce blason. Il s’agit d’un autre symbole d’Artémis, qui se faisait accompagner de ces animaux lors de ses manifestations. En ce qui concerne l’accoutrement, nous portons toutes des tenues ajustées et optimisées pour le combat, bien évidemment : pantalons, tuniques, robes de cérémonies…. Tous ont été étudiés et retaillés en fonction. Pour les entraînements et les cours de tous les jours, vous y assisterez en tenues de sport ou en tenue civile. Peu importe. »

–  « Grâce aux fonds du clan », reprit Sarah, « nous avons réussi à travailler sur les textures de vos équipements de mission et de combat. Depuis quelques années ; ils sont doublés de kevlar pour arrêter les tirs. Ceci est devenu une nécessité suite à l’attaque de certains clans qui ne respectent pas toujours les règles ancestrales. Elise pourra en témoigner », finit-elle dans un sourire forcé qui masquait mal sa désapprobation.

–  « Comme vous l’aurez compris, nous nous battons au corps à corps, pour la gloire et le mérite », reprit Alexis. « Nous vous formerons aux diverses armes et techniques de combat. Vous disposerez d’un propre arsenal dans vos vestiaires, situés dans les souterrains du Conseil et un autre dissimulé chez vous. Je ne sais pas si c’est le cas dans les autres clans, mais ici, nous procédons de cette façon. Nous préférons vous savoir suréquipées. Autre point, commun cette fois avec certains clans : vous porterez une ceinture. L’histoire de cet apparat doit ses origines à l’une de nos plus grandes souveraines, Hippolyte. Elle représente sa condition de guerrière et prêtresse. Cette ceinture sera unique car elle portera votre nom et le blason du clan. Vous ne l’enlèverez que pour deux occasions. La principale étant votre mort… et encore. Certaines guerrières souhaitent être enterrées avec. Il faudra donc vous y habituer : elle sera une seconde peau pour vous. » Kenza osa poser une question qui semblait lui brûler les lèvres.

–  « Les recherches sur l’artillerie, le jet, nos maisons, cette cité…. Comment faites- vous ? »

–  « Depuis des décennies », reprit Alexis dans un sourire, « les chefs de ce clan ont fait en sorte d’utiliser les dons de leurs guerrières pour des missions lucratives. Les missions primaires de notre race sont de combattre pour défendre le territoire, accroître son armée et assurer la survie du clan en cherchant les « appelées », ce qui rappelle la mission donnée aux Walkyries dans les mythes. Comme nous le signalions plus tôt, du fait de notre origine, nous sommes un des clans les moins vindicatifs et les plus neutres de notre espèce. Nous ne ressentons pas autant le besoin de sang (à l’évocation de ce terme, je déglutis de dégoût pour ce que j’allais peut-être devenir), ce qui nous rend plus disciplinées. Les alphas de notre clan ont compris au fil des années notre mutation et ont souhaité participer de façon intelligente à cette évolution et la pérennité de notre groupe. De guerrières bestiales dédiées au combat, nous sommes passées à des guerrières « douées » qui possèdent pour certaines des dons ou des talents particuliers. Dans notre histoire, certaines guerrières avaient déjà fait preuve de dons particuliers, comme Scathach, Macha, Morrigan … mais ce type de guerrières s’éveillent de plus en plus. Certains clans se préparent car ils pensent que cet éveil est le présage d’un futur combat sans précédent. D’autres, comme notre clan et celui des Atalantes en Europe du Sud, sont plutôt partisans de la théorie de l’évolution. Bref, je m’égare… toutes ces explications pour vous dire que beaucoup d’entre vous ont une spécialité ou un don. Plutôt que de les exploiter seulement au combat, je les utilise au quotidien pour des missions à la demande de gouvernements ou de rares particuliers fortunés au courant de notre existence. Je m’assure toujours de vous recommander pour des missions où je ne risque pas de vous perdre. De plus, cela vous évite de végéter et de devenir agressives entre vous. Ces missions rémunérées assurent un revenu au clan, revenu que nous investissons sur des placements gérés par nos comptables. Ces missions régulières sont très bien payées et nous donnent droit à beaucoup d’autres avantages. Notre renommée dans le milieu n’est plus à faire, grâce à notre efficacité. On nous appelle des quatre coins du monde.

C’est aussi pour cela que je tiens à ce que vous soyez formées, aussi bien physiquement qu’intellectuellement. Je veux que vous soyez capables de parler au moins dix langues, de craquer un système informatique, qu’importe le langage ou le logiciel utilisé, ou même de savoir cracher du feu si cela doit vous aider dans votre couverture. D’expérience, je vous confirme que tout se passe toujours mieux quand peu de sang est versé. Ces missions peuvent aller de la protection rapprochée d’un personnage important au vol de plans ou logiciels dans un pays à risque. La notoriété de notre efficacité est telle aujourd’hui que nous avons le luxe choisir nos contrats… ce qui évite les trahisons que nous avons pu connaître dans l’histoire. »

–  « Et comment font les autres clans pour subvenir à leurs besoins ? », poursuivit Kenza.

–  « Ils pillent et tuent. »

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L’Amazone – Roman Fantasy – Faits et fiction

A l’origine du sacrifice d’Iphigénie: la malédiction des Atrides

A l’origine du sacrifice de cet enfant, il va falloir retracer sa généalogie sur plusieurs générations car hêtre ceux qui ont offensé les dieux et autres meurtriers de la famille, Iphigénie faisait partie d’une dynastie qui avait signé pour en ch***, selon la mythologie grecque.

Tout commence avec Tantale, fils de Zeus et d’une mortelle. Vivant protégé par son père, Tantale eut le bon goût de tuer, cuisiner et servir son plus jeune fils en offrande aux dieux, car il avait un peu zappé de leur préparer quelque chose. Les dieux, offensés, ressuscitent le jeune Pélops (ancêtre de la maison des Atrides et qui donna son nom au Péloponnèse) et punissent sévèrement le père. Dans certains textes, il est expliqué que Pélops revient à la vie à la demande d’Arès, car le dieu de la guerre est en réalité son vrai père. Pélops grandit et doit sa renommée à une course de chars qu’il gagne pour obtenir la main de son épouse Hippodamie. (Bon, en même temps, Arès lui avait filé des chevaux divins.). D’autres textes laissent sous-entendre que Pélops est bien le fils de Tantale mais qu’il avait pour amant Poséidon et qu’il réussit à convaincre ce dernier de lui prêter un char ailé pour obtenir la main d’Hippodamie. Avec cette dernière, ils ont de nombreux enfants dont Atrée et Thyeste, des jumeaux.

En grandissant, les enfants se brouillent avec leur père qui les bannit de son royaume (en même temps, ils avaient un peu assassiné leur demi-frère). En marche vers Mycènes, Eurysthée, le roi, les accueille. A sa mort, et sans enfant pour reprendre le royaume de Mycènes, un oracle recommande de prendre un des fils de Pélops comme roi. Atrée promet de sacrifier le plus bel animal de son troupeau à Artémis pour s’assurer des faveurs de la déesse pour Mycènes. Hermès, qui avait envie de mettre la pagaille entre les frères, demande à Pan d’envoyer un agneau à cornes et toison d’or dans ce troupeau. Il savait pertinemment qu’Atrée le garderait pour lui et que cela déclencherait un fratricide. Sa prophétie se réalise en partie puisqu’Atrée sacrifie l’animal, donne la chair à Artémis et enferme la toison d’or dans un coffre qu’il garde pour lui. D’autres disent qu’il a gardé l’agneau entier pour le donner à sa femme, qui le refila à son amant et beau-frère Thyeste, qui en profita pour réclamer le trône puisqu’il possédait désormais l’agneau. Zeus, qui avait une préférence pour Atrée, lui dit de demander à son frère s’il accepterait de lui donner le trône de Mycènes s’il arrivait à inverser la course du Soleil. Thyeste accepta, sachant la tâche impossible, et assista au miracle de Zeus qui fit coucher le Soleil à l’est. Thyeste dut, de ce fait, rendre le trône à Atrée.

Ayant découvert la liaison de son frère et sa femme (mère d’Agamemnon et Ménélas, qu’elle a eus avec Atrée), Atrée liquide les fils de Thyeste et lui sert à manger pendant un dîner de “réconciliation”, comme leur grand-père l’avait fait. Une fois que Thyeste finit le festin, Atrée apporta à table les têtes ensanglantées de ses neveux, ou selon d’autres textes, les pieds et mains encore liés de ces derniers. Thyeste vomit d’horreur et lança une malédiction sur tous les descendants d’Atrée. 

Exilé de nouveau, Thyeste se rendit à Sicyone où un oracle lui annonça que pour venger le meurtre de ses enfants et tuer Atrée, il lui faudrait avoir un enfant de sa propre fille, Pélopia. A ce stade, même sans l’intervention des dieux, on sent que la famille est gangrenée… Masqué, il décida de violer sa fille, qui ne put que lui prendre son arme pendant la lutte. Elle cacha plus tard cette dernière sous le socle de la statue d’Athéna. Thyeste, quant à lui, prit la fuite en Lydie, sans savoir que sa fille allait donner naissance à leur fils, Egisthe. Atrée, pendant ce temps, avait assassiné sa femme adultère et recherchait une troisième épouse. Il consulta les oracles car craignait les conséquences de tous ses meurtres (ne vous trompez pas sur les intentions du gars: ce n’était un regain de conscience, mais bien un check up de l’humeur des dieux pour savoir s’ils lui en tiendraient rigueur et allaient pourrir ses récoltes). Les oracles lui recommandent de rappeler Thyeste de Sicyone, mais Atrée le rate de peu car ce dernier était en fuite vers la Lydie. Se disant qu’il n’avait pas fait le chemin pour rien, il va voir le roi de Sicyone et lui demande la main d’une de ses filles. Thesprotos, connaissant la réputation du lascar, lui présente la jeune Pélopia (qui vient de se faire violer) comme sa fille. La pauvre enfant se retrouve donc mariée à son oncle. Elle accouche et abandonne Egisthe sur une montagne. Ce dernier est recueilli par des bergers. Atrée qui avait bien constaté que sa jeune épouse enceinte était revenue sans le petit, va le chercher aux bergers et l’élève comme son fils. Les années qui suivent voient une succession de mauvaises récoltes. Atrée ne perd pas de vue ce que lui ont dit les oracles et envoie Agamemnon et Ménélas à la recherche de leur oncle pour le ramener à Mycènes. Ils arrivent à mettre la main dessus et le ramène enchaîner à Atrée. En bon père de famille, Atrée demande à Egisthe, alors âgé de sept ans, de tuer Thyeste dans son sommeil. Thyeste se réveille à temps, désarme le gamin avant de reconnaitre l’arme comme étant celle qu’il avait perdu le jour du viol de sa fille. Il secoue l’enfant pour lui faire avouer l’endroit où il a trouvé cet arme. Le petit, complètement apeuré, lui dit que c’est sa mère qui lui a donné. Thyeste lui dit alors de lui amener sa maman. Pélopia, en reconnaissant son père, fond dans ses bras, avant que ce dernier ne lui avoue le crime qu’il a commis quasiment huit ans plus tôt. Frappée d’horreur, elle se planta la lame dans le coeur… et tout ça se passe toujours devant les yeux du petit Egisthe qui ne comprend rien et qui à ce stade est traumatisé à vie. Thyeste demande alors à Egisthe d’apporter la lame à Atrée en lui confirmant qu’il l’avait bien tué. Atrée, super content d’être enfin débarrassé de son frère, se rend sur la plage pour faire un sacrifice à Zeus. Egisthe revient à la prison où Thyeste lui apprend qu’il est son père. Il lui demande un deuxième service: tuer Atrée et cette fois, ne pas se louper… ce qu’il fait.

Thyeste règne alors sur Mycènes. Un nouveau bélier à la toison d’or voit le jour dans le troupeau de Thyeste. Bien sûr, l’histoire ne s’arrête pas là.


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